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Message  seyne Jeu 1 Déc 2022 - 12:54



J’avais terminé les toilettes des femmes. Vidé les poubelles pleines de tampons, de cheveux, et de kleenex tachés de tout ce qu’elles se mettent sur la figure. Je laissais les lieux à peu près nickel, si on exceptait les éclats de l'émail des sièges, et les fissures du carrelage. L’odeur puissante de désinfectant fleuri avait pris le pas sur les odeurs humaines et je passais aux toilettes des hommes.
Là, c’était à chaque fois insupportable, malgré les années consacrées à cette noble tâche.
Bien sûr, si le gérant de la station avait payé quelqu'un dans la journée pour veiller à la propreté des lieux, il n’y aurait pas eu cette puanteur de chaque soir, cette nausée qui montait dès la porte. Odeur d’entrailles étrangères, d’ammoniac. Ne manquait jamais le crétin qui a bourré la cuvette de papier et l’a bouchée. Ni les poils ni les cheveux ni les crachats, ni la poudre grise du rasoir secoué sur le lavabo.
Je me demandais si c’était plutôt inné ou acquis chez eux cette tendance à laisser les traces de leurs résidus corporels, tout comme ils laissaient des traces de leurs obsessions et de leur vulgarité grasse, sous formes de dessins et de graffiti, de grattage sur les portes. Ce n’était pas une simple négligence, une simple exhibition rigolarde. C’était forcément une façon d’étaler quelque chose de sale et de sauvage, que la bienséance interdit, dans ces endroits à la fois publics et retirés, anonymes. "je vous emmerde" clamaient les chiottes des hommes, dès la porte, et le "vous", à 20h30, c’était toujours moi.

C’est ce qui provoquait la nausée, pas la merde elle-même, que j’avais nettoyée sans souci au derrière des pauvres gens, dans les hôpitaux, quand j’étais infirmière, dans une vie antérieure. Les vieillards tremblants d’alors, si misérables et dépendants, ne percevaient qu’à peine ces fonctions de leurs corps flasques ; tout sortait d’eux sans contrôle ni dessein.

Pas que les femmes soient meilleures que les hommes, mais la bienséance ne les lâche pas, même là. Elles ont une espèce d’horreur de l’intérieur de leur corps, ses tuyaux, ses productions, il faut cacher ça, laver, évacuer tout miasme, toute sécrétion, que ça disparaisse vite, comme si ça n’avait pas existé…..et puis la honte de ce que penserait la suivante.
Je portais les seaux dans les grands placards, rinçais les serpillières et les éponges, retirais les longs gants de caoutchouc roses ou bleus, parfois percés à l’extrémité d’un doigt. Mes doigts étaient de toute façon moites, blancs et puants.
Et je devenais toute entière moite blanche et puante, tout le temps. Une femme entre deux âges qui commence à s’empâter, avec cet accent sud-américain qui devait donner l’impression que j’étais débile. Pourtant je comprenais bien - et tout - y compris ce que disaient de moi à voix presque basse le patron et la petite caissière teigneuse, qui s’énervait sur ses ongles grenat derrière les chewing-gums et les piles électriques.

Plus de mari, pas d’enfants, pas de famille. Peu de compatriotes à Romorantin.....pas du tout serait plus exact, à ce que j’en savais. Je n’avais pas beaucoup cherché, à vrai dire. Mais j’avais un deux pièces HLM dans une petite cité pas trop laide, les 30 heures de ménage hebdomadaires et les toilettes de la station en prime, pour vivre. J’avais ma mobylette.
Sur la nationale le soir en hiver noir et pluvieux, au retour, les phares des grands poids lourds en face me faisaient les yeux doux….juste un petit coup de guidon et finis les longs gants de cérémonie excrémentielle, finies les vieilles maniaques qui croient qu’on les a volées quand elles perdent leur très fine alliance en se lavant les mains ou le reste. Finis le printemps l’été l’automne et l’hiver surtout, finie l’Europe nourricière et aigre comme une rombière qui vous donne ses vieilles jupes, finie la nausée.

--------------------------------------------

Quand il est entré la première fois dans les toilettes, un samedi soir, je venais d’arriver. Normalement la station était fermée, c’était un peu bizarre que le patron l’ait laissé entre….l’autre était en train de faire sa caisse sans s’occuper du reste.
En le voyant surgir à la porte des toilettes (cette semaine-là j’avais décidé de commencer par celles des hommes, histoire de changer pour voir si c’était pire ou mieux), je me suis préparée à sortir de l’autre côté : mon contrat ne prévoit pas la contemplation de ces messieurs en action.
Mais il m’a interpellée et j’ai bien dû me retourner. Il était petit, trapu et laid, pas gras mais tassé, compact. Il avait un visage large et des yeux à la fois luisants et limpides, deux petits ronds noirs perçants dans des iris couleur caramel. Il avait aussi un sourire drôle, asymétrique. "C’est bien vous qui vous appelez Imma ?"
"Oui"
"Ça veut dire « immaculée », pas vrai ?"
"Oui"
"C’est un prénom prédestiné on dirait."
"On peut dire ça, si vous voulez."
Je ne sais pas pourquoi je retenais avec soin mon accent. Est-ce que j’avais envie d’avoir l’air intelligente ? Et comment connaissait- il mon prénom ?
"Imma, je voudrais vous inviter à manger demain à midi. Est-ce que ça vous dirait ?"
A manger à midi, c’était intrigant, j’ai dit oui.

Il m’avait donné rendez-vous dans un petit resto du centre ville, j’y suis arrivée avec ma mob, mon casque, tout juste si j’avais enlevé ma blouse.
Il était déjà là, assis dans un coin. On a mangé des choses simples mais plutôt bonnes. Je calculais qu’il y avait dix-huit ans que je n’avais pas mangé avec un homme au restaurant. Il n’était pas bavard, mais moi je me suis détendue peu à peu, et comme il posait des questions, je répondais.
Et je suis repartie au travail, et ça s’est reproduit deux fois encore, toujours à midi, toujours au même restaurant. Je sentais une sorte de vie renaître, en me traitant d’idiote ; il était de plus en plus curieux. Il n’essayait rien sinon de me faire raconter mon passé. Et je racontais, les yeux dans mon verre ou dans les siens, indéchiffrables. Je racontais les faits, les uns après les autres, froidement, comme on se laisse aller.

Et puis il m’a invitée un soir.
"Nous y voilà" me suis-je dit, sans arriver à savoir l’effet que ça me faisait.
Même resto, même table, moi exténuée en arrivant, lugubre comme la mort et pourtant là.
Il avait apporté un grand papier plié.
"Regarde Imma" a-t-il dit en l’étalant sur la table, "voilà l’endroit d’où je viens."
C’était une carte de mon pays.

L’endroit qu’il montrait était dans la montagne, un endroit que je n’avais jamais vu. Je ne comprenais pas ce qu’il était allé faire là-bas, un français. J’ai attendu qu’il s’explique.
"Tu as beaucoup souffert, Imma, beaucoup perdu. Toutes ces années de peur, la mort de tes proches, ton pays. Et maintenant la merde des autres. J’ai quelque chose à te proposer.
Là-bas, j’ai un petit hôpital, très moderne, dans un endroit agréable, bien protégé, en altitude, bon climat. De la chirurgie seulement, de très bon chirurgiens occidentaux. Tout le matériel. J’ai besoin d’une infirmière-chef qui parle espagnol, qui dirige l’équipe d’aide-soignants. Il n’y en a pas beaucoup, ce n’est pas nécessaire. J’ai pensé que ça pourrait t’intéresser. C’est très bien payé. Tu bosses seulement 6 mois, après tu vas où tu veux avec tout cet argent, tu reviens six mois plus tard. L’hôpital ne fonctionne que 6 mois par an."
"Où vont les malades les 6 autres mois ? "
"Nulle part, il n’y a plus de malades."
"Tout le monde est guéri tous les six mois ?"
"On peut dire ça", a-t-il répondu avec un sourire aux dents si blanches que j’ai cessé de poser des questions.

Il y a eu plusieurs autres repas semblables à celui-là. Et il a fallu beaucoup de temps pour que je comprenne de quoi il retournait. Il était souvent évasif. Peu à peu, la nature des soins m’est apparue.
Il fallait penser aux milliers de gens qui attendent des greffes, dans le monde entier. A la difficulté de trouver des donneurs, toutes ces vies qui se consument dans l’attente, tous ces gens qui s’éteignent peu à peu, jeunes, enfants, braves gens. Et aux difficultés : donneurs qui meurent loin de tout lieu de prélèvement et de transport, ou qui sont si rares.
L’hôpital était équipé dernier cri : plusieurs salles de prélèvement, une piste d’hélicos, tout un circuit bien rodé. Il avait rencontré les chefs de bandes qui jouaient aux guérilleros dans les montagnes, et ceux-ci avaient fini par accepter de collaborer. Quand ils descendaient quelqu’un, ils le faisaient pas trop loin de l’hôpital et ils prévenaient.
Et puis d’ailleurs maintenant ils avaient trouvé plus commode de faire ça derrière le grand mur qui l’entourait. Les exécutions sommaires, les occasions ne manquaient pas : traîtres, paysans chapardeurs, voyous. Ils essayaient de rétablir l’ordre dans la région. Et puis ils étaient toujours en lutte contre des bandes rivales. Pas mal d' hommes robustes, bien entraînés, bien nourris. D’excellents donneurs. Ils mourraient de toute façon, et quel gâchis humain.

J’avais dans l’esprit la façon dont Paco était mort lui aussi, mon jeune mari, égorgé dans une rue par un toxico pour son portefeuille. Le sourire reptilien de ce gamin quand il avait été interrogé devant moi..... ses yeux noirs voilés de défi : il se savait protégé. Et ce sourire s’était superposé dans ma mémoire à celui de Paco, figé, raidi par la mort. Comment la suite des évènements m’avait forcée à fuir.
Il y avait maintenant cet autre sourire devant moi tandis que je pensais aussi à mon village, à ma mère et ma vieille tante Anna, seules dans leur minuscule maison, au chien pelé qu’elles avaient recueilli pour les prévenir du danger la nuit, il y avait si longtemps.
Il n’y avait plus rien dans mon cœur que pour elles, et une froideur sans limite pour le reste du genre humain. J’ai regardé les yeux de cet homme devant moi, j’ai cru y voir flotter quelque chose qui ressemblait à ceux du meurtrier. Un truc très ancien, qui rampe à la limite. J’ai dit oui.
"Tu es une femme remarquable, Imma, je suis content de t’avoir rencontrée. Quelquefois tu sais, ils ne sont pas complètement morts en arrivant. C’est mieux d’ailleurs pour la greffe. Il faut les aider un peu, mettre fin à cette souffrance. Tu sauras faire ça, j’en suis sûr, tu n’es pas une idiote, tu es une femme qui sait agir au mieux."
"Oui, ça doit être facile."

-----------------------------------------


Aujourd’hui est le dernier jour des six mois. De ma deuxième période de six mois. C’est le début de la saison des pluies, brutal cette année. Je suis à l’arrière du bâtiment, sous l’avancée du toit, je fume, regarde la pluie qui hache les arbres, dans la lumière basse. L’entrée du bloc est à ma gauche.
Sur les gravillons se dilue lentement la longue traînée de sang qui a coulé de la bâche luisante de pluie qu’ils viennent de transporter, depuis la petite porte dans le mur de derrière. La bâche semblait moins lourdement chargée que d’habitude, pas de pieds qui dépasse, pas de gémissements.
En arrivant dans le bloc ils l’ont posée sur le carrelage, elle s’est ouverte.
Il devait avoir moins de dix ans, glissant tout mouillé sur le sol, en short sale, avec ses yeux fixes, ouverts, sa peau jaune et les mèches noires collées qui lui couvraient la moitié du visage.
"Celui-là c'est un accident, et tu n'as rien à faire", a dit le chef, les yeux braqués sur moi. Je le regardais aussi, avec ses petits yeux gris couleur de plomb, où on devinait encore un reste de sentimentalisme macho.
Il avait bien tort. J’aime maintenant ces gestes pleins d’un pouvoir occulte, clinique : l’aiguille qui pénètre si facilement, le petit piston de plastique blanc qu’on enfonce, la respiration qui s’arrête après deux ou trois derniers mouvements.

Je viens de voir passer les précieuses boîtes en plastique réfrigérées, vite vite il ne faut pas perdre de temps. L’hélico halète dans la demi-obscurité, derrière les arbres.
Sur la table du bloc maintenant désert, je sais qu’il est allongé, deux grands trous ovales à la place des yeux, le ventre ouvert. Je n’ai aucune envie d’aller voir. Je sais déjà qu’il y en aura d’autres.
Je me demande ce qu'ils font des corps après.

Demain je serai chez moi, dans la grande et belle maison que j’ai fait construire au bout du village, avec ma mère et ma tante. Elles m’attendent. Le jeune gardien que j’ai engagé m'attend aussi.

Vivre, c’est l’essentiel, non ?
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Message  'toM Sam 10 Déc 2022 - 12:21

Bien bien bien...
Peut-on parler technique ? J'espère que je ne te prends pas à rebrousse-poil Un peu quand même, si ?
Quand tu vas de là où Imma part, pour aller là où elle arrive, il y a toute une trajectoire, toute une chronologie, que tu décris très bien. Trop bien.
Je pense que ça mérite d'être "tendu", que la lecture peut être faite d'une suite de surprises, sans trop se poser la question du plausible ou pas, ce à quoi tes explications au fur et à mesure semblent d'avance répondre.

J'ai l'impression que tout le premier paragraphe tient debout tout seul, comme un texte à part. D'ailleurs assez fort. Ou fort tout court.
Et que tu lui a donné une suite pour ne pas la laisser là. Ce qui t'oblige à changer de mode narratif. Du mode sensations, instantané (où je la retrouve quand elle fume sa cigarette sous l'avancée du toit), au récit sur du plus long terme, où tu essaies de rabouter les deux. Bistouri (-:

Voilà. Je suis en train de m'initier à la nouvelle, alors je la ramène un peu avec des choses que je ne maîtrise sûrement pas encore assez. Mais entre nous, je pense qu'on peut.

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Message  seyne Lun 12 Déc 2022 - 9:55

A rebrousse-poil ? Bien au contraire, ce genre de commentaire est précieux et dans les récits en prose, on a vraiment besoin d'un ressenti du lecteur.
Ce qui était compliqué là, c'est que le texte obéissait à une contrainte : reprendre le thème de Faust. Il fallait donc une figure diabolique, un pacte, et le contraire d'une rédemption. Certainement cela aurait pu se développer autrement, mais il fallait que le "diable" entraîne Imma vers le pire. Une femme envahie de haine, mais construite au départ par des valeurs humanistes, la haine justement à cause de ces valeurs bafouées.
Moi, je suis très attentive à la vraisemblance et il me semble que c'est encore plus important dans un récit où perce le fantastique. Et je trouve important de donner les éléments de compréhension nécessaires au lecteur.
Pour autant, je crois tout à fait juste ce que tu me dis du coté trop linéaire et explicatif du récit, entre les deux scènes essentielles.
Pour éviter cela, sans doute il faudrait qu'il soit plus long, avec quelques "indices-surprises" semés ça et là. Je vais y réfléchir. merci beaucoup.
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Message  isa Mer 14 Déc 2022 - 10:51

Wahou, je m'attendais pas à ça en lisant le premier paragraphe !
Au début j'ai juste trouvé ça rigolo cette description des wc selon le sexe, en me demandant si c'était réaliste (chez les femmes aussi ça peut être sacrément crade...) j'ai cru ensuite que ça allait tourner sur une fin de conte de fée (en mode pas très réaliste non plus)...

Tout ça pour dire que j'ai pas du tout senti venir la fin d'avance et que c'est pour moi ce qui fait la qualité du texte : impossible de savoir à l'avance ce qui va se passer et pas du tout de sentiment de "déjà lu".

J'ai vu que tu parlais de vraisemblance plus haut : pour moi, l'histoire de la fin est plutôt vraisemblable mais ce qui l'est moins c'est le type qui invite la fille 3 fois au restau, qui connait son prénom, sa profession etc... Difficile de comprendre comment l'enchaînement de l'histoire aurait pu être possible. Mais c'est vraiment la seule chose qui pêche selon moi ! Le texte est bien écrit avec suffisamment de détails pour qu'on arrive à visualiser les différents endroits (moins les personnages que j'ai eu plus de mal à me représenter)
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Message  seyne Jeu 15 Déc 2022 - 21:12

Merci isa, mais c'est le diable, il sait tout !
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Message  'toM Dim 18 Déc 2022 - 9:36

Ah, Faust. Savoir si c'est lui ou le diable qui a fixé la contrainte...
Je vois bien maintenant comment tu poses les étapes de la transgression, et, moins nettement, quelque chose qui ressemble à un marché (je veux dire tout ce qui est au delà du financier). Mais je suis toujours saisi par cette aptitude que tu as à créer des scènes où il ne se passe quasi rien mais où les acteurs refont le monde, ou en tout cas vont chercher une histoire très loin en eux. Alors comment suspendre le temps, le temps de cette scène, s'affranchir de près ou de loin du récit chronologique tout en racontant le marché et la transgression. Sans toucher à la dernière scène où elle dit comment elle se sent, après. Diabolique.
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Message  obi Lun 23 Jan 2023 - 10:00

J'ai lu relu, chaque fois en me disant : il y a quelque chose qui ne va pas et puis pas le temps, pas la bonne analyse.
Alors voilà, je me lance :
Première partie du texte : très fin ; subtil jusqu'à "une femme qui sait agir au mieux"
Ensuite, ça me pose problème.
"Il n'y avait plus rien dans mon coeur que pour elles et une froideur sans limite pour le reste du genre humain" : je n'y crois pas une minute. Cette femme -là ne peut pas être froide.
Je crois que les trois lignes sur Paco ne vont pas. Du moins ne peuvent pas aller à ce moment-là du texte.
Elle ne peut pas passer du blanc au noir instantanément : ce n'est pas crédible.
"Oui, ça doit être facile" : un monstre, en une phrase?
Je préférerais qu'elle pense et qu'elle remâche tout cela comme elle l'a fait des années durant dans les chiottes : là , c'est petit à petit qu'elle s'est construit sa philosophie de la vie. Montrer la macération des mauvaises pensées dans les gants de ménage et la résolution comme l'aboutissement d'une vie épuisante."Oui, après tout, ça pourrait devenir facile...." Montrer l'habituation au découpage des corps et là, mettre le corps du jeune Paco, son mari quand elle est déjà un peu vaccinée contre la douleur. Comme une justification.
"Il avait bien tort" "J'aime maintenant"Trop brusque à mon avis . Fais-la glisser.
Il avait peut-être tort . Je commence à aimer. Il faudrait qu'elle se surprenne elle-même. Mets-lui un peu d'humanité encore. De toute façon , ils seraient morts. C'est une femme pragmatique. Il ne faut pas qu'en un claquement de doigts elle devienne l'assistante de Menguele. Mais qu'elle se voie glisser, qu'elle reste sympathique.
Je fais ça c'est mon petit pouvoir. Je n'en suis pas fière mais je sauve les miens après tout. Et là " Vivre c'est l'essentiel" prend tout son sens et c'est une magnifique conclusion.
PS: je viens seulement de voir qu'il y avait une contrainte : Faust. Est-ce que cela annule les remarques que je fais? Pas forcément. Il faut garder le temps pour gommer petit à petit une conscience.

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Message  seyne Mer 25 Jan 2023 - 9:55

Merci obi, toutes ces questions sont très intéressantes. Je garde de tes remarques ton sentiment que ce qui concerne Paco n'est pas au bon endroit et que la phrase sur la "froideur sans limite" ne passe pas. Dans les deux cas d'ailleurs j'avais pas mal hésité, je vais revoir ça.

Pour le reste, toutes tes critiques seraient tout à fait justifiées si ce texte s'apparentait au roman (et d'ailleurs dans ce cas, il aurait vraiment besoin d'être plus long, pour respecter ce que tu dis de l'évolution de cette femme).
Mais on est plutôt dans un conte (il y a le diable) et la contrainte "Faust" amène à une autre logique. Pour moi, cette femme vit une conversion au mal, brutale, elle se voue au diable. Cela a été longuement préparé par le deuil, l'écroulement de tous ses idéaux moraux, l'humiliation, la perte de ce qui faisait sa valeur à ses propres yeux, l'isolement, le désespoir. Mais c'est soudain, c'est quand elle comprend de quoi il retourne dans cette "clinique".
Et il y a une forme de défi dans son acceptation, et c'est sans nuance.
Je la vois comme une danseuse de flamenco, droite et le visage sévère, en mouvement, habitée par le duende. Ou comme une déesse de la mort, jouissant non de la souffrance des autres mais de ce pouvoir qu'on acquiert quand on a rejeté les freins moraux.
Et je crois que c'est très vraisemblable psychologiquement, ça arrive à des gens parfois, et ils deviennent redoutables, parce que le pouvoir du diable est redoutable, parce on assiste à une "inversion". L'infirmière donne la mort, la femme n'aime plus les enfants, elle les laisse dépecer sans état d'âme, l'amoureuse "se paie" un jeune homme.
Tout le monde est frappé en ce moment par l'inversion si présente dans les discours de Poutine, c'est sans doute de la même chose qu'il s'agit.
L'Eglise a toujours parlé de l'inversion diabolique, et les rituels sataniques mettaient cela en scène, mais sans aller chercher la religion, il y a quelque chose de très vrai là-dedans. Et l'Eglise dit que Satan, le plus beau des anges, est devenu Satan par orgueil, et qu'il est tombé.
Il me semble que c'est l'humiliation qui favorise ces retournements chez les gens humiliés, et que de temps en temps, nous pouvons tous ressentir cette tentation : devenir vraiment mauvais, enfin être libre, être fort.
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