Exo « Train » : Modèle

Paris-Strasbourg, 23h57

J'ai le testicule droit qui gratte.
La fille assise en face de moi est très jolie.
Elle l'était moins il y a trente minutes, au téléphone avec son mec, mais à présent qu'elle dort elle est particulièrement jolie.
Un ange endormi sans rimmel qui coule et sans bave au coin de la bouche, enchevêtré de cheveux couleur pièce de vingt centimes.
Elle s'est endormie en laissant un livre ouvert. Machenka de Nabokov, vieille édition, pages diaphanes et odorantes, probablement acheté dix pièces de vingt centimes chez un bouquiniste.
Le testicule me gratte toujours, je lui donne une correction à travers la poche de mon jean, geste carrément impoli en face d'une fille, même endormie, ravissante qui plus est.
Je ne résiste pas à sortir mon Moleskine sans carreaux, et je dessine le portrait de cette fille avec son bouquin. Je décide de l'appeler Natacha, comme la gamine de Guerre et paix, qu'elle a peut-être lu si elle aime la littérature russe.
Natacha lui va bien, même si elle est blonde au lieu d'être brune, et puis j'ai été suffisamment impoli en me grattant les couilles pour en plus oser la réveiller et lui demander son prénom.

Je tourne la page, j'ai envie de la dessiner nue. Licence poétique abusive, soit, mais si l'on considère que c'est de l'art, où est le problème ? Pour moi, une belle fille en train de rêver après s'être disputée par téléphone avec son mec puis calmée avec deux chapitres de Machenka, pourtant pas le bouquin le plus joyeux du monde, c'est une oeuvre d'art en soi. Elle doit avoir vingt-six ans à peine, genre de lolita qui aurait bien vieilli.
Un téton pointe à travers son t-shirt couleur mandarine. Je la dessine avec de jolis seins, de très jolis seins, un peu menus mais fermes, harmonieux, délicieusement à croquer.
Le modèle tourne sa tête vers la gauche. Je la dessine nue et endormie puis, au-dessus d'elle, je dessine son rêve. Je dessine des poupées russes sur un ciel clair, puis un renard arctique prenant le samovar avec un corbeau et un tigre. Je dessine des fleurs de neige et la cathédrale Saint-Basile, une fée aux cheveux glacés et un Spoutnik en plastique.

Un gamin deux rangs derrière me regarde faire. Ses parents amorphes roupillent, il regarde ce qu'il peut, privé de télé. Il a une casquette jaune vissée sur la tête, c'est ridicule parce qu'on est dans le train. Je vois ses yeux passer de la fille endormie à son miroir de papier, je tourne la page parce que je ne veux pas qu'il la voie nue. Ce n'est qu'un gamin, il pourrait être ébloui. Et puis mon dessin était trop sucrément onirique. Une chérubine nue et un tigre de Sibérie, n'importe quoi.

La voix de la contrôleuse annonce l'arrivée en gare de Strasbourg. Ma nymphe russophile ne se réveille pas. Qu'est-ce que je fais ? J'approche ma main près de son épaule, mais qui suis-je pour détruire une oeuvre d'art qu'une dispute au téléphone a si parfaitement dessinée ? Tant pis, je la laisse dormir. Le train redémarre, j'envoie mon plus beau modèle en Allemagne. Ce que je peux être con !

j'ai été suffisamment impoli en me grattant les couilles
techniquement, c'est incorrect, je croyais qu'il n'y avait que la droite :-)

j'ai un peu tiqué sur les cheveux couleur pièce de vingt centimes, et sur la continuation vers l'Allemagne d'un train nommé Paris-Strasbourg, ces détails mis à part le texte m'a plu, surtout le dessin du rêve qui apporte la touche parfaite et la présence du gamin à casquette.

bon, maintenant, je veux voir le dessin :-)

Je crois avoir reconnu l'ange endormi, mais de mon côté c'est au niveau de la tempe gauche que ça me gratouille. Climat train de jour bien en vue, association d'idée bien tournée, j'aime le côté croqueur de vie.

J'ai un peu de mal à imaginer des cheveux couleur pièce de vingt centimes :-) Mais plus sérieusement, c'est surtout la répétition de ce pièce de vingt centimes sur deux phrases successives qui me gêne un peu.

Cela (ceci ?) mis à part, j'apprécie le délire qui peut naître sur base d'un simple croisement de personnes, le temps d'un voyage, du dessin qui se crée et puis le gamin qui regarde, j'aime ça.

(et moi aussi je voudrais bien voir le dessin ;-)

Il y a confusion entre démange et gratte me semble-t-il.. Sinon c'est bien vu ce voyage-fantasme en compagnie d'une belle créature qu'on imagine déshabillée. Ne manque que le dessin des fameux seins..

Joliment croqué. C'est vrai: on a envie de la voir mais c'est mieux de rêver seulement...

Truculent à souhait.
Je ferai la même remarque que Legone pour gratte. À mon avis, une couille qui gratte c'est qu'elle doit avoir des doigts avec des ongles.

Chako a un gros "trip" sur les pièces de vingt centimes ! Même réflexion quant à la couleur et l'emploi répété de ces pièces.

Merci de m'avoir fait rire... Je vois bien le spoutnik en plastoc, et, bon sang, le côté gentleman du narrateur entre le grattage de "nuts", le dessin pour l'Art et le fait qu'il ne la réveille pas... Bref, j'ai passé un bon moment et attends, comme mes petits camarades, de voir ce croquis.