Exo anonyme « L'attente » : L'auvent bleu

- Paul, on n'attend plus que toi.
- Deux minutes... même endroit ? J'arrive, à tout de suite
- Qu'est-ce qu'il t'arrive, on a réunion là ?
- Commencez sans moi... ex-cu-sez-... par-don...
« Commencez sans moi, commencez sans moi », j'te rappelle que c'est toi le chef de projet !

Trois semaines sans nouvelles… une éternité.

- Dis-leur... euh, dis-leur qu'j'suis amoureux.
- Paul ! Paul !

Dehors il y a foule, c’est jour de solde. Penses-tu que j'ai fait une bonne affaire, demande une passante à sa voisine. Elles se connaissent, cela se voit. Attends, c'est de la soie !... T'en es sûre ?... Non mais regar... L'étoffe légère, vaporeuse, gonfle et s'enfle comme la toile hissée d'un bateau. Elle le froisse, rit et plonge dans le tissus carmin secouant la tête, frénétique. Je les regarde s'éloigner.

Bientôt deux heures, j'ai froid. Je pousse la porte du café, notre café. C'est la première fois que j'y entre seul. Je m'assieds sur la banquette, le serveur m’a reconnu : la p'tite dame n'est pas là, aujourd'hui, me lance t-il essuyant la table avec son torchon blanc. Je ne réponds pas, je fixe le cendrier et commande un café Cognac. Cigarette après cigarette, les souvenirs un à un me reviennent comme ce long week-end à Bordeaux dans la maison de ses parents, et leurs voisins si charmants. Le chemin des vignes, se grands yeux verts, ses longues mains fines, et l'écho de son grand rire qui résonne encore en moi. Quelle nuit ! Et cet instant où, tous les deux emmêlés dans les draps nous nous sommes regardés sans rien dire ; déjà elle me manquait.

Et ça tourne et ça tourne et ça tourne... la p'tite dame n'est pas là, aujourd'hui... ?

- Le dernier m'sieur, après je ferme.

Je me lève, je règle les café Cognac, dehors la pluie commence à tomber. Angle mort sous L'Auvent bleu, je grille ma dernière cigarette. Les réverbères sont allumés... Une ombre passe.... Stricte intimité.

"le tissus carmin"
"ses grands yeux verts"

à la première lecture, je me suis dit: "houlà, c'est le bazard!"
à la seconde lecture j'ai été touchée par de belles trouvailles comme:
"L'étoffe légère, vaporeuse, gonfle et s'enfle comme la toile hissée d'un bateau."
"Et cet instant où, tous les deux emmêlés dans les draps nous nous sommes regardés sans rien dire ; déjà elle me manquait."
qui dans leur simplicité font mouche car si justes.

j'aime cette fin qui claque au vent:
"Angle mort sous L'Auvent bleu, je grille ma dernière cigarette. Les réverbères sont allumés... Une ombre passe.... Stricte intimité."

pour finir je dirais qu'à la troisième lecture, je ne sais pourquoi mais j'ai été très émue par ce texte.
il m'est allé droit au coeur.
on se met à la place...

très beau, enfin...pour moi.

Modération a écrit:la p'tite dame n'est pas là, aujourd'hui... ?

Cette phrase résume tant de choses. Je la trouve à la bonne place, là, comme ça, au bon moment.

J'aime aussi l'idée de l'attente que les souvenirs s'allègent, fassent moins mal parce qu'ils sont porteurs de beaucoup et ça peut faire mal. C'est bien restitué.
Quelques détails ne me paraissent pas indispensables, trop descriptifs, mais sinon, ça se tient bien.

"la p'tite dame n'est pas là, aujourd'hui... ?"

Un thème usé mais un texte touchant.

Plus que l'attente, l'absence... qui serait un beau sujet d'exo aussi.

Je reconnais que c'est très bien écrit, mais je suis restée assez extérieure... peut être parce que le début m'a déroutée, l'épisode des soldes m'a paru plaqué...

pour moi ce texte commence mal, j'aurais supprimé les dialogues et trouvé autre chose.
moi non plus je ne vois pas ce que les soldes viennent faire là... planter un décor, combler le vide ? je regarde les filles qui marchent sur les trottoirs... histoire de tuer le temps...
à part ça, c'est touchant, j'aime bien le choix du présent, le thème est traité et la fin, comme igloo, j'aime bien.

Moi ce que j'aime bien c'est "déjà tu me manquais"
je trouve ça très vrai, comment on anticipe le manque, l'absence, comment s'installe la nostalgie de ce qu'on n'a pas encore perdu, pourtant.

l'épisode soldes c'est vrai, mais en même temps c'est peut-être là pour montrer que Paul est spectateur d'une vie qui se déroule malgré tout sans elle ou en tout cas loin d'elle, avec ce truc très féminin de plonger les mains dans les fringues en solde.

Enfin j'dis ça, j'dis rien

À dire vrai j'aime bien ce texte

Je tenais à souligner que cette attente résignée m'a touchée.

Touchée comme la plupart des autres commentateurs par la déroute de ce pauvre Paul qui erre dans le présent sans parvenir à décrocher de son passé. Malgré les faiblesses qui ont été relevées plus haut c'est un texte profondément humain sous son pudique auvent bleu

J'aime beaucoup, ça m'a touchée.

Une description très juste de ce merveilleux moment d'espoir qui suit l'attente, et puis cette autre description de l'attente qui devient désespoir. Il y a une mise en scène, un environnement mis en place, qui donnent beaucoup de réalité à l'évènement.

Je rejoins l'avis des autres commentateurs, pour dire que j'ai aimé lire ce moment d'attente.
Juste une chose, qui n'a rien à voir avec le thème, mais que j'ai aimée : c'est "Angle mort sous l'Auvent bleu". Cela sonne drôlement bien, et j'aurais aimé l'avoir trouvé. J'en aurais fait un roman policier :-)

Voilà, encore une fois, j'avais dit : je ne commente plus tant j'ai peu de temps mais c'est la faute d'Iris qui vient d'écrire ce que je pense. Je ne vais pas me laisser piquer ma remarque : "Angle mort sous l'Auvent bleu" ça a fait tilt chez moi aussi . Je ne sais pas pourquoi mais tilt et un écho étouffé se prolonge et m'accompagne... Doux

aimé le paragraphe dans le café, l'attente de l'absente, les habitudes qui ne sont plus
mais je n'ai pas compris le début, pour moi dans le dialogue il s'agissait d'un coup de fil donnant rendez-vous, je n'ai donc pas saisi pourquoi il n'y avait personne, et si le temps a passé entre le début et l'attente finale, je ne l'ai pas perçu
mais c'est peut-être moi, ça n'a semblé gêner personne d'autre

ce serait du

Spoiler:

que ça ne m'étonnerait pas...

le mélange des temps, des époques...
ça commence en plein activité, sur un lieu de travail,
puis l'homme amoureux disparaît: il est dans un pic de joie, indisponible à autre chose.
puis brusquement l'homme se retrouve seul, et recraché dans la foule, la rue, le tourbillon de la vie.
il atterrit de son rêve, se souvient, et machinalement l'attend, elle.
un peu entre prostration et réveil brutal.
le titre focalise sur un endroit précis, ce café au auvent bleu si cher à ses souvenirs, j'aime beaucoup ce titre...

Ah oui, le titre est formidable et fait très polar !

Chapeau ! J'ai aimé l'ambiance. Peut-être aurais-je supprimé le premier paragraphe, comme d'autres l'ont dit.
Mais j'ai aimé ce texte.
Paul... Cela m'a dit quelque chose, mais je ne me rappelais plus où j'avais lu ce prénom. Dans un de tes textes, non ?
M'enfin, je ne t'avais pas reconnue.

oui, au fait:

je te dis chapeau également Pussicat, ma prose préférée de toi, je crois...!

igloo a écrit:oui, au fait: je te dis chapeau également Pussicat, ma prose préférée de toi, je crois...!

shit ! moi qui pensais avoir déjà posté des trucs pas mal, bien bien quoi, comme euh... le catalogue c'est bien pour ça, une bonne idée de l'administration que je salue... au fait, pour :

Spoiler:

merci igloo... penser à obi peut vouloir dire que je suis sur la bonne voie, non ?

Iris a écrit:Paul... Cela m'a dit quelque chose, mais je ne me rappelais plus où j'avais lu ce prénom. Dans un de tes textes, non ?

exact, Paul est un personnage récurrent, comme Béa. Ils reviennent par cycle dans mes textes en prose... je ne sais pas pourquoi, une balise, un repère.
pour Angle mort sous L'Auvent bleu : moi aussi je trouve que ça "sonne drôlement bien" ;-)

elea a écrit:aimé le paragraphe dans le café, l'attente de l'absente, les habitudes qui ne sont plus
mais je n'ai pas compris le début, pour moi dans le dialogue il s'agissait d'un coup de fil donnant rendez-vous, je n'ai donc pas saisi pourquoi il n'y avait personne, et si le temps a passé entre le début et l'attente finale, je ne l'ai pas perçu
mais c'est peut-être moi, ça n'a semblé gêner personne d'autre

j'ai voulu construire ce texte comme un court métrage, sur des séquences, et le commentaire de igloo est bien vu. Il y a rdv mais il y a "lapin", et l'attente qui commence.
tu me dis ne pas avoir "perçu" cette attente. Elle est pourtant au coeur du texte de :
Bientôt deux heures, j'ai froid jusque : Je me lève, je règle les café Cognac...

et pour coline et son : "Je reconnais que c'est très bien écrit" qui m'a fait rougir :
l'Auvent bleu (Love en bleu), moi aussi je l'aime bien ce titre (moi qui suis nulle dans ce genre d'exercice, pour une fois !)...

un aveu - c'est dans le vent - ce texte a déjà été posté sous une version différente, et sous un autre titre.
je l'ai remanié pour qu'il entre dans le thème imposé.
je remercie donc Rebecca pour son avis et son conseil précieux : le temps.

et merci à tous ceux que j'ai oublié, vous me boustez comme pas possible.