Exo anonyme « Ce que je fais » : Je fais rire

Ce que je fais ?

Je fais rire, je fais rire les autres. Je ne sais pas ce que je fais pour les faire rire, mais quand je suis là, ils rient de moi.

Je fais mine de rien, mine de pas exister, trop con pour exister, ça fait rien ils rient de moi, et moi je sais pas où me mettre, je sais pas quoi faire, je reste là, bête à faire rire.

Des fois ce que je fais, je ris avec eux, parce que c’est vrai, c’est bête d’être là.



Je me dis, des fois, allez ça ne fait rien, t’en fais pas, le rire ça leur passera, mais ça passe pas, aussitôt qu’on me voit, on rit de moi.



Peut-être que je suis trop « échalas » ou trop « escogriffe » comme ils disent, mais j’ai pas de griffes, j’ai jamais griffé, et les griffes, ça fait pas rire.

Je comprends pas.

Tu ne comprends jamais rien. Bêta, qu’ils disent.



Ce que je fais quand ils disent ça,

je vais voir les bêtes à bon dieu,

ce qu’elles me font rire, c’est vrai, ces bêtes-là, mais elles griffent pas, elles chatouillent quand elles montent sur moi.



Il n’y a que mon grand-père qui ne rit pas de moi, lui il sourit, il sourit tout le temps grand-père.



Quand ils rient,

Ce que je fais, je cours au cimetière, je vais voir les photos sur les tombes, les morts ils rient pas quand ils me voient. Papa est quelque part par-là, je ne sais pas où. Pas de photo, pas de nom, mais j’en sûr, lui ne rit pas.



Quand ils rient,

ce que je fais,

je cours sous le ciel gris, et le ciel ne rigole pas, il pleure sur moi, il pleure ses gouttes de pluie, et moi je pleure avec lui, et quand l’orage crie de colère, je cours, je cours, je crie avec le tonnerre, je crie plus fort que lui.



Dans les nuages, on ne rit pas, j’aime regarder le ciel qui fume, et le feu qui brûle l’horizon, ça rigole sûrement en enfer, mais au ciel, non, les cieux c’est sérieux.



Ce que fais quand je ne fais rien, j’essaie d’attraper les oiseaux par un pan de ciel. Les oiseaux, ça chante, ça ne se marre pas. Ils ont plein d’ailleurs dans leurs ailes, les oiseaux. Tous ces endroits que je ne connais pas. Moi, avec mes bras, je fais les éoliennes, je brasse l’air, je brasse du vent, j’ai plein d’énergie quand je tourne les bras, je mouline, je mouline, je suis pas malin, mais je suis moulin, je suis pas oiseau, mais je suis très haut, grand échalas, et quand ils me font tomber, pour rire encore, toujours pour rire, je me relève avec un sourire, je garde le goût de la terre dans la bouche, ce que je fais alors, je cours, je crée un courant d’air, et j’ai le goût des fleurs dans la bouche, les fleurs que je mange dans les champs, toutes les marguerites, et les boutons d’or, et les coquelicots, et des fois j’ai le goût des roses du jardin de grand-père, et je sais alors combien il y a de choses écœurantes et douces.



Ce que je fais sur les chemins, je marche sur la pointe des pieds, je fais attention, pour pas blesser les bêtes toutes petites qui vivent sur la terre et dessous, moi trop escogriffe, et j’évite de froisser les brins d’herbe et je marche sur la pointe des pieds pour pas déranger, pas déranger la terre et le ciel, pas déranger le monde entier.



Ce que je fais quand je vois les eaux d’une fontaine, je regarde mon reflet, et je ris, je ris fort, plus fort, et je plonge mes mains dans l’eau, je brise l’autre moi avec mes mains, je le noie dans la fontaine, et je m’en vais sur les chemins, je cours sous le ciel sur la pointe des pieds, je tourne et je fais des ronds, et même si je suis en nage, je brasse le temps, je tourne les bras, je mouline, je mouline, je prends le vent avec moi, et je cours toujours, je cours sans fin.

Ça commence léger et peu à peu ça s'étoffe ça prend de l'ampleur et du grave.
Ce qu'on fait au début on sourit à ce grand échalas
on se se dit ouais

et puis on poursuit la lecture
on entre dans un tourbillon de mots, de sensations, de chagrins et de vie aussi

et à la fin ce qu'on fait, on applaudit des deux mains et on a envie de savoir qui c'est, qu'a écrit si beau

Ce qui me plait à moi là dedans, c'est que ça ne prend pas la précaution d'écrire comme il faut, ça essaye d'être pas trop comme ci ou comme ça, et c'est finalement surtout émouvant, tellement bien écrit parce que c'est mal écrit : je sais pas comment dire d'autre. On a eu un petit Ratz qui nous faisait des machins comme ça passé un temps. Mais il est plus dans le coin. Qui ça peu bien être ?

là je suis scotchée ! j'ai l'impression d'enter dans un toboggan avec cette sensation que cela ne va pas assez vite pour moi puis la pente s'accentue et la vitesse augmente et la ça tourbillonne et ça va de plus en plus vite et je ne sais plus dans quel sens je suis et la vitesse augmente encore jusqu'au moment où je me trouve le cul par terre avec la tête à l'envers.
que dire...
très fort et bravo pour l'auteur(e), merci pour cette lecture, chapeau !

"L'idiot" bien sûr, l'idiot du village, peut-être un peu trop stéréotypé : orphelin, recueilli par son grand-père, montré du doigt par les autres qui vont jusqu'à le bousculer, ami de la nature et foncièrement gentil.
Bien sûr, c'est un poète. Et il nous offre un beau monologue.

oui, ça ne m'a pas fait rire
je retiens la boule dans la gorge, et en même temps c'est touchant de simplicité pour dire du plus lourd
donc: sourire!

Je ne ris pas non plus, c'est beau tout ça. j'aime.

Un beau texte, vraiment. On y entre sur la pointe des pieds, le sourire aux lèvres, et puis progressivement, le propos se dramatise, la réflexion se veut sérieuse et le sourire disparaît au profit de quelque chose difficilement qualifiable, une émotion, de la tendresse, de l'admiration aussi face à autant d'émotions si justement mises en mots. J'aime ces aller-retours entre légèreté et gravité, entres sourires et lèvres serrées; c'est écrit avec beaucoup de subtilité et en même temps, il y a un naturel dans tout ceci, une absence d'effets, qui rendent le texte encore plus sensible.

Narbah a écrit:On a eu un petit Ratz qui nous faisait des machins comme ça passé un temps. Mais il est plus dans le coin.

et c'est dommage.

Ce petit Caliméro (pas si petit que ça, puisqu'on le traite d'échalas), commence par faire sourire. On a envie de le prendre dans les bras pour le consoler. Et puis le texte bascule, et là, on ressent la souffrance et la solitude du personnage qui s'évade et se réfugie dans un univers poétique.
Très attendrissant, comme texte

superbe, j'ai aimé ressentir en lisant, passer du sourire à la gorge serrée, et prendre une goulée d'air avec le vent et les oiseaux et la nature pour oublier l'oppression humaine
merci

Ça va crescendo. Pas mal.

Un texte prenant. Le rythme progressif y est pour beaucoup.
Beaucoup de poésie dans le propos de cet être qui se réfugie dans la nature.
Le plus idiot n’est pas celui qu’on croit.

Un de mes favoris je crois. Je ne sais pas trop quoi dire, je crois que j'aime plus le thème que l'écriture mais cette dernière a l'humilité de se faire petite, de se mettre au service de cet être "idiot" (particulier, selon l'étymologie du terme), sujet magnifique de Dostoïevski à Faulkner (texte inspiré peut-être de Benjamin dans Le bruit et la fureur ?), c'est ce qui fait toute l'émotion du texte. Bravo.

Wouah. D'habitude je ne commente pas les textes (parce que je n'arrive jamais à donné d'avis constructif) mais là...
Un texte émouvant et très poétique qui m'as fait pleurer...un peu
Bravo à celui (ou celle) qui as écrit ça.

Relire les commentaires ci-dessus en ajoutant "Ça marche pour moi"

ah, ben c'est un de mes préférés. Je trouve le ton "juste", enfin, tel que je me l'imagine "juste" (donc, très relatif).
Je me suis demandée si le grand-père était également au cimetière, ou si seul le père pouvait y être. J'aime aussi la progression dans la "densité" du texte. Bravo ! (aucune idée de l'auteur, pas envie de chercher).

Trop beau. (je suis emballée aujourd'hui dis donc)
Un crescendo comme d'autre le disent.

Beaucoup de gravité au début selon moi (faire rire les autres malgré soi ça n'est pas drole du tout du tout...), une lourdeur insoutenable, une douleur qui a fait que j'ai failli arrêter ma lecture.
Mais au fil des lignes on découvre un personnage plein de surprises, de poésie, de vie, de ressources, de courage.
C'est ça, non ? Les faiblesses qui rendent plus fort, tout ça tout ça... Et la sensibilité à fleur de peau qui rend les poètes poètes !

On se prend de sympathie pour ce personnage émouvant qui nous offre une brassée de vent. Merci!

Qu'il est touchant, ce texte ! Je crois que c'est celui qui m'a le plus émue. Aucune idée, finalement, de son auteur.

Iris a écrit:Qu'il est touchant, ce texte ! Je crois que c'est celui qui m'a le plus émue. Aucune idée, finalement, de son auteur.

c'est bien ça le plus fort, incapable de mettre un nom sur ce texte et pourtant la liste est là !

Un texte simple et fort, bien construit, qui tient la route et nous tient en haleine.

Et moi je courrai bien encore dans ces mots là, pour cette agréable sensation d'être retournée dans des endroits à la fois si loin et si proches, quand la poésie de l'adulte rejoint le monde de l'enfance et qu'on se laisse aller à ne rien vouloir faire d'autre que vivre l'instant, comme un enfant.

Un mélange de candeur et de profondeur qui m'ont émue, très très joli texte.

il est très fort, ce texte, bravo à l'auteur inconnu!

Je pars faire une course mais avant je tiens à te dire que tu m'as offert un beau cadeau Louis, un grand moment plein d'émotions, un texte que j'ai lu et relu même après l'avoir commenté... encore bravo et pour finir : j'en veux encore !

Je n'ai pas pu tout lire et donc je découvre ce texte après avoir consulté la liste d'attribution, mais il me semble que je n'aurais eu aucun mal à t'identifier, Louis : toute cette poésie, cette empathie et une écriture aussi modeste, ça ne pouvait être que toi !

Superbe, un de mes préférés

Janis a écrit:
Superbe, un de mes préférés

Mon préféré ! (oui je remonte juste pour dire ça - mais le texte le mérite)

Merci à vous tous pour ces commentaires si nombreux. J’en suis très ému. Qu’un site comme VE existe dans lequel tant se sensibilités diverses pourtant se retrouvent et s’émeuvent des souffrances d’un pauvre idiot qui écrit « beau » de si mal écrire, comme dit à peu près Narbah, eh bien j’en suis heureux ; et d’une certaine façon, c’est une fierté pour VE que je ressens, pour vous tous qui participez à l’aventure de l’écriture avec tant de talent et de sensibilité.
Oui, Septembre, je n’ai jamais oublié le prince Mychkine. L’idiot de Dostoïevski est une lecture de jeunesse qui m’a profondément marqué.
Mais j’ai surtout voulu, par ce texte, remettre en question le cliché de l’ « imbécile heureux ».

D’autre part, je vous dois à tous des excuses. J’avais l’intention de commenter les textes de l’exercice, et puis je n’ai pas trouvé le temps de le faire, débordé par la quantité de travail que je dois fournir actuellement dans mon domaine professionnel.
Mais je trouverai à l’avenir sans doute ce temps qui m’a manqué pour venir vibrer à la lecture de vos écrits.

Mon commentaire naturellement ne va pas être constructif, mais je ne vois pas comment il pourrait l'être face à ton écriture Louis : elle transforme un sourire amusé du début en gorge serrée. Lentement. Presque insidieusement. et j'aime ça en plus! Super texte vraiment.

Touchée par l'empathie et l'humanité de ce texte, de cet enfant.