Ronde de nuit

[Hue]

Ronde de nuit
les enfants s'affairent dans les placards
ne pipent mot, nichés dans l'estomac

un chaos signé foutraque
très beau pour une journée de galère

ronde de nuit
soupir poussé du fond des plaines
furtivement je m'approche du monde
c'est surtout une manière de dire adieu
et puis sans prononcer le nom de ceux qui dérapent
on hausse le ton et on se déchausse
et la vie repart comme avant dans un grand fracas
c'est comme s'il n'y avait rien
rien d'autre que des lumières au bout de la nuit
des réverbères éteints qu'on étreint par accident
des souris mortes qu'on accueille au creux du jour

ronde de nuit
mortelle insouciance qu'on mordille au réveil
c'est l'heure de sortir les poubelles
rien à signaler dans ce désastre ambiant
immonde statue plantée dans le brouillard
fait sa ronde au milieu du square
son rêve
c'était d'être un flic en cavale
et d'inonder les places avec des bougies fondues
pour qu'on puisse dire
qu'il n'y avait rien à sauver
que la volonté d'être humain
et ce dieu
qui n'a jamais rien dit
que des messes en sourdine

ronde de nuit
j'immortalise des instants F
France je te meurs
et tu m'ennuies aussi
par la grâce des vautours qui tournent autour des pleurs
par le tigre affamé qui m'embrasse sur les joues
ronde de nuit
fourre-tout
ce placard insomniaque qui bouffe mes nuits
s'engouffre à petits pas dans ce brouhaha
complice à demi cuit
que l'on entend jamais
ta main dans la mienne, ronde de nuit
je te jure aujourd'hui que rien n'ira là-bas
que rien ne franchira ni les fleuves ni les ours
je te jure aujourd'hui
que tout ira mourir au pied des fleurs flétries.

[teverino]

Je trouve ce texte très beau, plein de suggestivité, avec de belles trouvailles :
des réverbères éteints qu'on étreint par accident
ou
furtivement je m'approche du monde
c'est surtout une manière de dire adieu
ou encore
les vautours qui tournent autour des pleurs

Je butte quand même sur "on hausse" et "et on" dans le on hausse le ton et on se déchausse mais ce n'est qu'une broutille.

Il y a aussi au passage quelques beaux vers sans doute volontairement distillés par un auteur plus savant en versification qu'il ne laisse paraître. Ainsi

ce décsyllabe de la plus parfaite orthodoxie médiévale (4 / 6), dès le début :
ne pipent mot, nichés dans l'estomac

et celui-ci déjà plus loin :
furtivement je m'approche du monde

Evidemment j'ai pensé à la nuit parisienne des attentats du vendredi 13 (et la vie repart comme avant dans un grand fracas  / inonder les places avec des bougies fondues / mortelle insouciance /ans ce désastre ambiant
immonde statue plantée dans le brouillard
fait sa ronde au milieu du square). Mais je nesuis pas sûr que cela soit ça, en tout cas pas que cela.

 Je me suis également demandé si  "souris"  dans  "des souris mortes qu'on accueille au creux du jour", voulait dire "filles" (ce qui rendrait le vers encore plus dramatiquement beau).

[teverino]

PS: ce texte présente des affinités avec celui-ci, de Hue également, qui est également très bon :

Est-ce que les larmes
http://www.vosecrits.com/t13492-est-ce-que-les-larmes#392631

[Annie]

Probablement un texte de plortestation, que les événements exigent.... et même avant.... et même après.

Merci.

[Polixène]

Quand le surréalisme devient hyper-réalisme...signe des temps?

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