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Enfin une bonne nouvelle (21)

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Enfin une bonne nouvelle (21) Empty Enfin une bonne nouvelle (21)

Message  Frédéric Prunier Lun 15 Juin 2015 - 6:43

XXI





         —  Tue ! Brisons les portes ! ... Mort aux spéculateurs et aux affameurs ! Fleur-d’Épine, à droite, fais gaffe… Coupe-lui les couilles à ce bâtard ! Yasmine, à toi !
  Les vitrines du magasin volent en éclat. Yasmine s’engouffre et vide les étagères de tous les paquets de cigarettes qu’elle peut enfourner dans son sac de supermarché. Dehors, des voitures sont renversées.
  C’est jubilatoire, Max est enragé. Il dirige l'assaut en s’imaginant être un général révolutionnaire.
— Les celliers du marché aux grains sont pleins, ils ne veulent rien vendre alors servons-nous ! Personne n'empêchera le peuple d'avoir du pain pour vivre !
  Cette fois-ci, c'est la guerre et il sera le nouveau Robespierre. L’accalmie climatique de ces derniers jours donne envie de revivre, de tout balayer.
  Face à l’énormité inhumaine de la rafle du faubourg, réagir est un devoir. Pour Max et sa bande, c’est surtout un prétexte légal pour aller piller les commerces du centre-ville car le château de cartes ne demande qu’à s’écrouler. La horde barbare qu’il dirige hurle contre l’injustice.
  La manifestation, au départ pacifique, a vite dégénéré et les portes des supermarchés n’ont pas résisté. Des cocktails Molotov ont atterri  dans les entrées d’immeubles, tout ce qui peut être tordu est tordu, tout ce qui casse est pulvérisé.
  Ceux qui craignent pour leurs biens se barricadent s’ils en ont le temps. Robillard gueule toujours la même phrase, apprise par cœur.
— Le blé, on va le prendre, les spéculateurs les pendre !

  Les manifestants viennent de jaillir sur la place du marché, leur fureur est sans limites.
— On veut se goinfrer ! Pas de pitié !
  On répète partout ces cris de ralliement, ils se mélangent à ceux de la douleur des blessés.
  Deux voitures de police se sont retrouvées encerclées de manifestants et les agents qui se sont enfermés dans leurs véhicules appellent désespérément le poste central. La standardiste qui perçoit leurs cris et l’acharnement des assaillants ne peut les secourir, personne n’aura le temps de les secourir. Elle gardera leur détresse ancrée au fond de sa mémoire toute sa vie durant.
  Certains commerçants ont réussi à repousser une première vague de pilleurs mais ils ne peuvent lutter longtemps contre la folie entrainée des lieutenants et des hommes de la bande de Max.
 Un surexcité a décapité d'un coup de serpe le vieux Miole, le père du représentant de la vieille ville.
  Maximilien veut imiter les révolutionnaires parisiens et embroche la tête du bonhomme, tout en gueulant que cette journée sera plus inoubliable encore que la prise de la Bastille.
 Le trophée est ensuite exhibé comme une tête de veau au sommet des grilles de l’échoppe du pauvre vieux. Dans l'euphorie de sa folie meurtrière, Beau-François trouve le moyen d’improviser une chanson à la gloire du boutiquier connu pour son avarice maladive :

«Dieu est grand, chantons la mort de Miole,
on lui devait, son compte est bon… »


     Max joue ici la partition dont il a toujours rêvé. L’attaque nocturne d’une ferme isolée ne l’amuse plus. Il veut saigner des porcs à la va-vite, comme à l’abattoir, et saccager la ville entière.
      Au milieu de la place, à force de secouer et de peser de tout leur poids, des enragés ont forcé les lourdes portes du marché.
  Les premiers qui surgissent à l'intérieur crient d’excitation et de terreur, piétinant ceux qui ont le malheur de trébucher. Quelques-uns ressortent immédiatement, les bras chargés d’un butin qu’ils n’ont pas forcément pris le temps d’apprécier à sa juste valeur. On cherche des armes, de l’argent, on coure dans tous les sens, désirant tout emporter, ne sachant que choisir. Les ouvriers qui travaillent à l'entretien sont massacrés de la même façon que s’ils étaient des miliciens.

  Entraînant une partie de ses hommes vers les étages. Max défonce les portes qui lui résistent, à la recherche du bureau du capitaine-intendant du marché. Enfin, l’officier est devant eux, tremblant comme une feuille. Il se protège symboliquement derrière le haut dossier de sa chaise et pointe un pistolet vers ses agresseurs en criant :
— N’avancez pas ! …
  Il n’a pas le temps de prononcer un autre mot car il s'effondre, tué d’une balle en pleine tête. Les meubles de son bureau sont jetés par les fenêtres. Un crétin innocent enflamme les rideaux avec son briquet et l'incendie se propage si vite qu’il n’est plus temps de visiter entièrement les étages.
  La mort de ce serviteur de l’état n’étonnera personne. L’homme était la caricature du serviteur tatillon tel qu’il n’en existe heureusement plus guère. Dur au travail et dur avec son entourage, sans cesse brocardé dans les petites feuilles clandestines de la ville, sa lutte contre les dérives et les incartades de ses employés l’avait transformé, au fil du temps et de sa carrière, en véritable despote paranoïaque.

  Revenus au rez-de-chaussée et délaissant les affamés qui s’entretuent pour de la broutille, Max et son groupe de truands forcent sans trop de peine les portes de l'armurerie. Celle-ci jouxte le bâtiment principal déjà en flammes, il faut faire vite.
  Ils chargent un chariot de toutes les armes et les munitions qu'ils peuvent entasser. Le chef ordonne aux plus jeunes :
— Couvrez-moi tout ça. Vous irez planquer les kalach’ et les munitions dans la réserve, à l’auberge du père Beille. Dépêchez-vous, la milice ne va pas tarder. N'oubliez pas de jouer les gamins apeurés. Criez à l’émeute, affolez tout le monde ! Il faut que la ville soit prise de panique. Jean-Louis, tu les accompagnes, ta gueule d’innocent leur servira de passeport.

   Le chiffonnier est un fidèle parmi les fidèles. Sa laideur, qu’il dissimule aujourd’hui derrière une cagoule, est son arme la plus redoutable. On le croit demeuré, on lui fait confiance. Il n’a rien choisi, il se débat simplement dans la jungle pour survivre.

  Par malchance pour la vieille halle aux grains, il ne pleut pas ce jour-là et le vent du nord s’est remis à souffler, ce qui attise l’incendie. La toiture crache des flammes de plus en plus hautes et l'épaisse fumée qui s'élève doit maintenant se voir à une dizaine de kilomètres à la ronde.
  Les pillards s'engouffrent partout. Les cris d'effroi se mélangent aux coups de feu et la place s’encombre de sacs éventrés, de voitures renversées et de corps sanguinolents. L'émeute urbaine se transforme en folie furieuse, incontrôlable.
—  Le centre-ville sera bientôt encerclé par la milice, la garnison doit être en effervescence et les compagnies de C.R.S sont certainement déjà prévenues, il est temps de déguerpir. Abandonnons la place aux gibiers de potence, ils pillent sans réfléchir.
  Max s’adresse alors plus particulièrement à Yasmine qui, depuis ce matin, le suit comme son ombre.
— Avec ce grabuge, les cognes de toute la ville vont accourir par ici. On fait un crochet par la prison.

  En effet, les sirènes des pompiers hurlent dans tous les quartiers à la fois. Des ambulances foncent sur les boulevards. La bande évite les grands axes et traverse le cœur de la cité en empruntant les ruelles qui entourent le château médiéval, rejoignant au plus vite la maison d’arrêt.
  Après avoir tagué les caméras de sécurité et lancé des grappins, les plus lestes grimpent aux murs et cisaillent les barbelés qui surélèvent l’enceinte extérieure.
  Au moment où le premier coup de feu riposte à l’intrusion, il est déjà trop tard. Une dizaine d’individus ont investi la cour intérieure et neutralisé les gardiens de la conciergerie, avant d’ouvrir à leurs complices les portillons d’entrée.

  Les émeutiers se divisent et s’infiltrent partout grâce aux clés des cellules qui restent entreposées en évidence sur un des murs de la loge. Les gardes cèdent du terrain, les assaillants ont l’avantage du nombre. Des morts jonchent le sol et les grilles du stade sont forcées. Les miliciens en faction ici ne sont pas les plus aguerris, on croyait l’endroit inattaquable.
  Quand Max ouvre la porte de son cachot, Samir n'en croit pas ses yeux.
— …la révolution ?
— Remercie surtout Yasmine.
  Cette dernière s’engouffre à son tour dans la cellule. Elle saute littéralement au cou de son homme en pleurant de joie. Tant de mois sont passé depuis l’arrestation de Samir. Les deux amants se collent l’un à l’autre et puis se regardent, intensément. Ils cherchent mutuellement ce qu’ils ont envie d’entendre et de se dire mais l’urgence est ailleurs, ils s’embrassent rageusement. Max les rappelle à la réalité :
— Ici, ça pue la mort, sauve qui peut. Si vous sortez vivants, rendez-vous chez le père Beille.
  Le truand disparait dans l’escalier tout en hurlant que la libération de Samir solde, une fois pour toutes, les dettes qu’il pouvait avoir envers eux. Il est persuadé, à cet instant, qu’il possédera de nouveau Yasmine, rien ne peut lui résister. Mais cette journée est loin d’être finie, il lui reste encore d’autres comptes à régler.



*



  Sur la place, le carnage continue. L'incendie embrase non seulement le marché aux grains mais s'étend à plusieurs immeubles alentour. Les pompiers s’activent, des émeutiers les caillassent. Ceux qui ont récupéré des armes tirent sur les véhicules de secours.
  Jean-Marie et Benoît-Benito sont au cœur de la tourmente. Les bureaux du parti national sont au deuxième étage d’une bâtisse en brique et pierre, face aux portes de la vieille halle. Sa façade est soutenue au rez-de-chaussée par une longue rangée d'arcades où les camelots, jusqu’au 19e siècle, installaient leurs boutiques. C’est un des plus anciens hôtels particuliers de la région, avec des fenêtres pourvues de vitraux colorés à l'ancienne mode. Son toit est pentu, recouvert d'ardoise, et des sculptures érodées par le temps ornent les énormes pièces de bois apparentes de ses murs extérieurs. À l’intérieur, les plafonds ont gardé leurs peintures allégoriques de la Renaissance et les nombreuses cheminées monumentales sont de véritables chefs-d’œuvre.
  Les deux frères travaillent à l’élaboration d’une suite à donner à la rafle du faubourg. Ils sont heureux, la recrudescence des cambriolages était un excellent prétexte, peu de voix ont crié au scandale. Il sera bientôt possible d’industrialiser les déportations et de systématiser l’épuration.

  Quand Robillard et ses hommes s’engouffrent dans l’escalier de l’immeuble, les compères sont en train de dresser la liste des opposants et des immigrés à abattre. Le menu fretin de la banlieue nord a été un bon défouloir mais l’argent de certains français enrichis sur le sol du royaume serait autrement plus lucratif. Le but avoué est la spoliation des biens étrangers et l’instauration de la préférence nationale, premières marches vers un assainissement salutaire de la nation, d’après les théoriciens du parti.

  Les émeutiers grimpent aux étages en gueulant le nom de l’accusateur. Ils le haïssent par-dessus tout et ils vont le trouver, où qu’il se cache.
  Au moment où les jumeaux comprennent l’imminence du danger, il est déjà trop tard. Ce qu’ils entassent à la va-vite devant la porte ne pourra les protéger bien longtemps. Benoît se rappelle la mort du duce, son mentor italien, il ne veut pas finir comme lui. Sa peur le rend fou, il doit échapper aux émeutiers, coûte que coûte.

  Les fenêtres des bureaux donnent sur une arrière-cour mais sont au deuxième étage, sauter est impensable. Benoît arrache les rideaux, les attache à un garde-fou. La porte va céder, on entend des cris. Les hommes de Robillard se sont mis à plusieurs et prennent ensemble leur élan, la serrure ne résiste pas.
  Lebenne enjambe le rebord de la fenêtre à la suite de son frère mais la poigne d’un insurgé l’attrape avant qu’il ne s’échappe. Il est violemment projeter sur le plancher. Impuissant, Benoît comprend le drame et s’enfuit par les jardins en courant le plus vite possible.

  Fleur-d’Épine entre à son tour dans le bureau.
— C'est ce fumier de Lebenne, celui qui a envoyé le Rouge d’Auneau, à la potence ! Lui, je me le garde.
  Dans un réflexe de panache et d’orgueil, Jean-Marie veut se défendre.
—  Qui êtes-vous ? De quel droit ? Je porterai plainte…
— C’est qu’il me ferait peur l’animal. Les gars ! Je crois qu’on ferait mieux de rentrer à la maison en fermant tout doucettement la porte derrière nous… Toutes nos excuses Monsieur le président… euh… On s’essuie les pieds sur le paillasson et on retourne la pancarte sur la face « do not disturb » en partant ?
  Les truands rigolent, Jean-Marie est blême, sa voix est tremblante.
— Au nom du Roi et de la Nation, je vous ordonne de sortir …
— Il veut qu’on se casse...pôv’con... !

   L’accusateur tombe à la renverse, la mâchoire fracassée.
— Et ça, c’est pour la fois où tu m'as envoyé aux galères.
  Fleur-d’Épine lui décoche un coup de pied dans le ventre, de toutes ses forces. Le lynchage commence.
  Quand la fureur retombe quelque peu, on traîne le malheureux par les pieds jusqu’au dehors. Tous ceux qui croisent le cortège en profite pour se faire plaisir et ne retiennent pas leurs coups.
   Lebenne ne reprendra plus connaissance. On crie bravo. Robillard a le dernier mot.
— Pendez-moi cette enflure. Il y a bien un croc de boucher sous les arcades qui fera son affaire. Mais avant d’en finir, essayez de réveiller ce bâtard pour qu’il profite pleinement de sa mort. Il a tellement envoyé des nôtres à la mort qu’il serait dommage de le priver d’un si beau spectacle.
Frédéric Prunier
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Message  jeanloup Mar 16 Juin 2015 - 17:54

Comme un souvenir de troisième dans un jour de révolution
Mais ce n’était ni dix neuvième ni anticipation
C’était quand même l’histoire de France, autrement dit : Une fiction
J’avais aimé cette violence comme celle d’un film d’actions

Je me suis laissé prendre au jeu. Je me suis laissé entrainer dans les rues avec eux , et comme j’ai aimé cette page, je vais aller chercher quelques poux sur ta tête :

« La standardiste qui perçoit leurs cris et l’acharnement des assaillants ne peut les secourir, personne n’aura le temps de les secourir. »

Dans cette phrase la répétition de « Secourir » est sans doute volontaire et pourtant elle me gène

Et « Il est violemment projeter » L’infinitif ici est lui sans doute involontaire. Petite inattention



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