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Enfin une bonne nouvelle (20)

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Enfin une bonne nouvelle (20) Empty Enfin une bonne nouvelle (20)

Message  Frédéric Prunier Mar 9 Juin 2015 - 5:55

XX






     Comme Benito-Benoît vient de me le prédire, le nettoyage du faubourg, le surlendemain, est systématique.
  Les hommes de sa milice surgissent de toutes parts et quand ils investissent les premiers baraquements, un vent de panique s’empare du quartier. Les tours, les vieux remparts et les jardins publics ne sont plus un territoire de non droit mais une nasse de laquelle il faut s’échapper au plus vite.
  Aucune fuite possible, l’encerclement est total.

  Tout ce qui s’apparente à quelque chose de valeur est confisqué. On questionne beaucoup et pour activer la rapidité des réponses, on frappe souvent. Un simple regard suffit à se faire une idée de la personne interpellée et l’accent français est recherché au même titre que l’argenterie. L’heure n’est plus à la réflexion.
  Les caves des grands ensembles, cachettes notoires des petits trafics, sont ouvertes et fouillées. Si quelqu’un demande la raison d’une telle démesure, la brutalité est la seule réponse apportée. Des familles entières sont arrêtées, entassées à l’intérieur de fourgons fermés, charriées comme des bestiaux en partance pour l’abattoir.
  Petit à petit, le terrain de sport de la maison d’arrêt, ancien vélodrome de la ville, se remplit de tout ce que l’on arrache du faubourg. L’endroit est vaste et clos, idéal pour servir de camp d’internement provisoire. D’énormes projecteurs y surveillent les prisonniers en permanence et l’incompréhension cède bientôt la place à l’angoisse et à la peur. On se demande pourquoi et pourquoi aujourd’hui ?

  Quelques hommes tentent de se rebeller mais ils sont abattus sans sommation. Les enfants pleurent. Des Français, immigrés depuis plusieurs générations, refusent d’être assimilés aux fauteurs de troubles. Les plus âgés d’entre eux ont fait la guerre dans l’armée du royaume. Que se passe-t-il ? Ces arrestations massives n’ont aucune justification et les températures polaires rendent les conditions de détention inhumaines.
  Mon imagination me joue des tours. J’échafaude un roman, les rumeurs les plus inquiétantes circulent.

  Au pied des tours, le silence a repris possession des terrains vagues et des espaces bétonnés.
  On s’y croise sans se prêter attention. Ce sont des lieux de passages, de fausses places de village, des forums que l’urbanisation moderne a fabriqué, sans âme, juste bon pour faire pisser les chiens. Les survivants y déambulent plus tristement encore que les autres jours ; et tous se dévisagent, s’interrogent du regard, ne comprenant pas exactement la raison qui les épargne d’une catastrophe aussi imprévisible et dévastatrice qu’un tremblement de terre.


*




  Sur ordre du conseil municipal, les distributions de nourriture ont été suspendues.
  Au bar, Jean-Marie et Benito affirment que c’est le Roi en personne qui a décrété l’interdiction de se regrouper sur les places publiques.
— Pour une fois qu’il prend la bonne décision. J’ai lu dans le journal qu’on avait fermé les frontières et que le vieux maréchal des armées demandait aux citoyens de collaborer.  
  Seb est satisfait de cette nouvelle :
— Mais c’est ce qu’on fait !... On collabore !… Hein les gars on collabore… Vivement que ça pète, vivement ! On pourra dératiser le pays tout entier comme les copains du parti viennent de le faire dans ce putain de quartier nord.
  La accoudés au zinc approuvent d’une seule voix.
— Ouais, on n’aurait jamais dû autoriser l’abbé à les nourrir ces crevures.
— Moi je dis que les empêcheurs de tourner en rond sont aussi nuisibles que les raclures qu’ils entretiennent !
  Fier de sa dernière phrase, Seb essuie son comptoir en bombant le torse. Il toise de sa hauteur le parterre des habitués qui lui font face et  met au défi quiconque de lui opposer un argument valable. On dirait un petit roi qui se regarde dans la glace.

  J’ai envie de leur rentrer dans le lard, ce sont eux les crevures ! Mais je suis obligé de rester en retrait, de me taire, ne pouvant les affronter tous à la fois. Je ne suis pas suicidaire au point d’aller, poitrine nue face à la mitraille, affronter leur vindicte partisane : n’a pas le courage d’une Femen qui veut.
  Au fond de la salle, juste à côté de la porte de la cuisine, Janine, elle aussi silencieuse, est installée à la table qu’elle se réserve. De cette place stratégique, elle peut jeter discrètement quelques coups d’œil vers la ligne des sacs à vinasse dont elle ne voit que les dos et rappeler discrètement à l’ordre son mari, quand ses paroles dérapent un peu hors du commercialement acceptable.
  Et puis de temps en temps, elle me sourit aussi. Sa générosité contrebalance un peu l’indécrottable bêtise des habitués de ce théâtre miniature.

  Comment une femme si merveilleusement douce et bienveillante peut aimer, physiquement, un égoïste aussi primaire que le Seb ? Il ne sait pas dire une phrase autrement que remplie de haine et trouve à redire sur tout. On dirait qu’il accumule depuis sa naissance une rancœur irraisonnée, et surtout injustifiée : il est propriétaire de son commerce, il a de l’argent, une épouse admirable. Que veut-il de plus ? Et pourquoi haïr autant les Français alors que le quartier de la gare en compte beaucoup moins qu’ailleurs ?
  Si on lui en donnait le pouvoir, je suis persuadé qu’il se révèlerait un tortionnaire monstrueux. Gamin, il ne devait pas avoir besoin de l’émulation des autres pour imaginer faire du mal. C’est plus fort que lui, la méchanceté transpire de tout son être, et de toutes ses phrases :
— Heureusement que le parti a pris les choses en main puisque la police ne fait rien. Ces bâtards, il faudrait tous les gazer.

  Plus je les écoute, plus je comprends que la rafle a été organisée dans le seul but d’envoyer les Français en camp de concentration, moi qui imaginais que la milice recherchait mes voleurs.
  Jean-Marie éclate de rire :
— On a bien récupéré quelques scooters et téléphones portables dans les caves, mais le gros de l’héroïne et des marchandises frelatées est entreposé ailleurs. Et ça, on le savait déjà ! Mais il fallait bien un prétexte pour aller leur péter quelques tibias à ces crouilles sauce parigote !
  Les piliers arc-boutés au comptoir lèvent leurs verres et trinquent de joie et de bonheur. Je suis atterré :
— Qu’allez-vous faire de tous ces gens arrêtés ? Vous ne pourrez pas les garder éternellement dans l’enceinte de l’ancien vélodrome ?
  Les abrutis se jettent des clins d’œil complices et m’observent en coin tout en riant sous cape. Assurément, j’atterris d’une planète inconnue où j’ai pris quelques métros de retard.

  Ce n’est pas la peine d’essayer de leur argumenter que les premiers devoirs de la citoyenneté sont le respect, la générosité, la solidarité. Inutile de perdre mon temps en expliquant qu’il doit y avoir des bons Français autant que des mauvais. Tant qu’ils ne subiront pas à leur tour l’injustice du racisme ordinaire, ils ne comprendront rien à l’inhumanité infligée aux immigrés du ghetto. Et pourtant, puisque que ces malheureux crèvent la faim, pourquoi s’acharner ? Nous devions au contraire plus encore les secourir. Jean-Marie devance mes réflexions :
— Je viens de lire dans le dernier hebdo de la ville que ceux qui souhaitent recommencer la distribution de soupes populaires dans les quartiers sensibles pourront le faire. J’étais contre mais aujourd’hui, je m’aperçois que nourrir les poissons rend la pêche plus facile !
  Tout le monde éclate de rire.
  Fort de son succès, Jean-Marie continue et détaille son point de vue sur un meilleur traitement possible de la question française :
— On devrait construire autour de la banlieue un cordon de sécurité avec du fil électrique, branché sur 20 000 volts, un peu comme font les juifs avec les palestiniens et comme les nazis ont solutionné les juifs… Le Français, ce n’est pas la peine de l’engraisser pour qu’il se sauve une fois bien nourri. Des restos gratos, non mais j’te jure…  Et tous les matins, ils dégusteraient un petit pain au chocolat et un café aux frais de la princesse ? Après, on s’étonne que le nombre des quémandeurs augmente sans cesse.

  Ils entretiennent leur délire et n’entendent que ce qui les arrange. À défaut de pouvoir leur tordre le cou, je claque la porte du bar, non sans avoir résisté à l’envie de crier à Janine de tout plaquer, de s’enfuir avec moi, d’oublier cette époque où les monstres ordinaires qui l’entourent seraient capables des pires génocides !
  J’attends avec impatience des nouvelles du chevalier, il faut qu’il revienne, lui seul a le pouvoir d’influencer ces crétins. Son absence me pèse.

*


 


  Depuis quelques jours, une pluie froide et continue sature les sols, déjà engorgés par le dégel saisonnier et la fonte des neiges. Nous sommes le premier mars.
  Je suis enfin comblé. Gaspard revient plus tôt que prévu de sa mission d’ambassade. Je pousse mon cheval au triple galop vers le château. Frigorifié et trempé jusqu’aux os, l’excitation de revoir mon ami surpasse tous les désagréments du trajet.

  Gaspard, malgré son bronzage de touriste revenant des Caraïbes, a le visage marqué par la fatigue. Nous nous embrassons chaleureusement.  
— Les températures d’ici n’ont rien à voir avec la douceur des îles mais quelques jours de repos suffiront pour que je sois de nouveau sur pied.
— Je ne pensais pas te revoir de sitôt, j’avais imaginé ton retour vers la fin du printemps.
— Nous ne sommes pas encore dans un siècle où les loisirs peuvent se consommer indéfiniment.
  Je lui souris, heureux d’être à nouveau près de lui. Tout va recommencer comme avant, il ne m’a pas laissé tomber. J’en ai presque les larmes aux yeux. Ma voix tremble :  
— J’avais hâte que tu reviennes, tu es le seul à pouvoir influencer Benito, Jean-Marie et ceux du parti national. Ils sont devenus fous, ils veulent que le royaume bascule dans l’anarchie.
De la Part-Dieu éclate de rire.
—  Ne te fais aucun souci ! La guerre qu’ils prédisent fait peur mais permettra au petit peuple d’évacuer ses rancœurs. Les laissés pour compte jappent depuis trop longtemps sous les fenêtres du Roi, ils sont jaloux de ceux pour qui le système est synonyme de richesse et de réussite. Tu me dis qu’un conflit avec la France est inévitable ? À nous d’en tirer parti ! Avec un peu de chance, nous en profiterons pour solder la dette de l’état en supprimant ses créanciers les plus indésirables. Une explication par les armes est le meilleur moyen pour remettre les compteurs à zéro et ceux qui reviendront vivants seront fiers d’arborer quelques médailles. Les après-guerres sont des temps heureux, la reconstruction d’un pays engendre obligatoirement une période de croissance et ni toi, ni moi, ne subirons directement les dangers des combats futurs… J’ai déjà transféré mes capitaux vers une des banques de mon île de villégiature. C’est un vrai paradis, tout va bien. Je te le répète, tu n’as aucun souci à te faire.
  Ce que dit Gaspard révèle autant son génie des affaires que celui de la politique : rien ne vaut une bonne purge pour relancer l’économie et ressouder une nation.
—  Un trop long temps de paix aboutit fatalement à l’essoufflement du civisme et au mécontentement de la populace…
  Mon étonnement devant sa logique l’amuse. Il me guette, décodant le moindre plissement de paupières ou la plus infime contraction irrésistible d’un muscle du visage, autant de signes lui indiquant ce que je comprends ou non de son discours, et surtout comment et jusqu’où je l’approuve.
  Les cartomanciennes ne font pas mieux quand elles cernent en quelques secondes les demandes et les désirs de leurs clients. Je suis abasourdi.
— Mon retour anticipé a pour cause principale ma nomination au poste de secrétaire d’état à la question française. Ce sera une tâche délicate. Il nous faut élaguer quelques têtes qui gangrènent le pays et qui rêvent de renverser notre bon Jacques-Nicolas-François. Les mauvaises herbes ne poussent pas seulement dans le faubourg.
  Le chevalier vide d’un trait son troisième verre d’alcool et me presse de l’imiter, maintenant la bouteille tendue vers moi. Nous répétons ce petit manège autant de fois que nécessaire jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à boire. Cette formalité symbolique des retrouvailles accomplie, nous allons diner.

— Je voudrais t’entretenir d’un projet qui me tient à cœur.
  J’ai soif, faim, envie de rire. Je suis tellement heureux de me retrouver avec lui.
— Connais-tu ces fruits que l’on nomme des agrumes ? Ils pullulent sous les tropiques et je viens d’avoir l’idée lumineuse d’en déposer le copyright sur toutes ses appellations, variétés, produits dérivés et territoires de productions. Quiconque utilisera désormais les mots pamplemousse et citron devra me payer des royalties ! Les indigènes n’ont rien compris aux subtilités de la paperasse, ni pourquoi je tenais absolument à payer des oranges dont ils profitent gratuitement. En cochant une simple case en bas d’un contrat de licence, ils s’engagent à m’acquitter des droits, y compris pour utiliser sur leurs bicoques de l’orange en peinture. Quand ils ont signés, ils sont piégés !... Je t’assure que ces îles du bout du monde sont de véritables coffres à trésors. Si on s’associait tous les deux, nos vies entières ne suffiraient pas pour en ratisser les ressources. Je reste persuadé, à condition que l’on puisse améliorer les infrastructures pour y faciliter la circulation et le commerce, qu’il y a, là-bas, un sacré paquet de fric à se faire. En plus, grâce à nous, ces peuplades profiteraient du modernisme. Ce serait donc du gagnant-gagnant et un bel exemple d’économie solidaire.

  L’idée de retrouver une complicité et une association avec mon vieux camarade me fait évidemment plaisir. J’ai l’impression de rêver. Gaspard me présente une orange et j’en respire l’odeur. Pris d’un élan poétique, il me récite le début du célèbre poème de Paul Eluard :
— La terre est bleue comme une orange, jamais une erreur les mots ne mentent pas… Le poète a raison. La planète est une orange et les premiers servis sont toujours les plus riches. Laisse-toi porter par le fleuve de ton époque, la vie luxueuse des colons à l’ancienne mode décuplera ton inspiration musicale. Notre opulence te permettra de te consacrer entièrement à ton art. Où en es-tu d’ailleurs, de tes travaux d’écriture ?
  Je lui raconte Yasmine, l’abbé, la rafle.  
— L’intrigue s’étoffe, c’est parfait. Il faudrait, maintenant que les éléments sont bien en place, que ton histoire s’anime, qu’il y ait du sang, et du sexe ! Le suspens a trop duré... Au fait, t’ai-je inspiré le rôle de ton héros ? Attention ! Je vais te réclamer le droit de cosigner ton chef-d’œuvre.
  Nous rions de bon cœur. Il a raison, je dois recommencer à écrire, avoir des projets, vivre sans me préoccuper de ce qui m’entoure.
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Message  jeanloup Jeu 11 Juin 2015 - 8:46

Gaspard est de retour. Son côté affairiste ne m’est pas vraiment sympathique mais sa présence, en redonnant une certaine joie de vivre à Patrizio me fait plutôt plaisir car je le trouvais souvent quelque peu déprimant.
De son côté, l’histoire s’emballe. Je ne sais pas où elle nous mène. Je la suis simplement sans chercher à extrapoler.
Bien sûr je vois dans ce récit souvent des références ou même des parallèles à des mondes que raconte parfois ma télé, mais comme ils me sont étrangers, ça ne peut pas m’aider à plus me projeter.

J’imagine ( peut-être à tord ) que le fait qu’il n’y ait si peu de commentaires de la part de lecteurs à qui ces univers seraient plus familiers doit être un peu frustrant.

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Message  Frédéric Prunier Sam 13 Juin 2015 - 5:48

jeanloup : J’imagine ( peut-être à tord ) que le fait qu’il n’y ait si peu de commentaires de la part de lecteurs à qui ces univers seraient plus familiers doit être un peu frustrant.

moije : Nous rions de bon coeur. Je dois recommencer à écrire, avoir des projets, vivre sans me préoccuper de ce qui m’entoure... :-)

...
f.p : Nous vous êtes deux et vous nous entraidons... Hissez haut !!! Relisons, relisez, peaufinez progresserons!

merci jeanloup
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