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Enfin une bonne nouvelle (19)

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Enfin une bonne nouvelle (19) Empty Enfin une bonne nouvelle (19)

Message  Frédéric Prunier Dim 31 Mai 2015 - 20:45

XIX





                              « Patrizio,

              Ta dernière lettre m’a ému.
  Les distributions de soupe que l’abbé organise prouvent sa bonté d’âme. Les conditions climatiques extrêmes et la souffrance des indigents sont bien regrettables mais ce froid est néanmoins un allié du royaume puisque tu m’écris que les troubles révolutionnaires sont heureusement engourdis.
  L’e soleil est ici d'une telle intensité que la neige et la glace que tu me racontes me sont impensables. Le paradis est une réalité pour qui sait en profiter.
 
  Quel bonheur de savoir que l’inspiration te sourit à nouveau. Tu as raison d’abandonner l’écriture d’une messe solennelle. Pour combattre la crise, rien ne vaut un scénario où le plaisir et l’amour règneront en maître.
  Dans ton ébauche d’opéra-rock, j’adore ta bohémienne imaginaire. Plus la belle sera farouche et indomptable, plus la victoire, au final, sera succulente. Malgré mes piètres qualités de musicien, j’ai déchiffré tes partitions. Les airs du dernier tableau sont absolument charmants et dès à présent, je me réserve l’honneur de produire ton chef-d’œuvre à la cour. La musique est faite pour combler le cœur des midinettes ! Je me répète : abandonne tes autres projets, celui-ci est de loin le meilleur. Et hâte-toi mon ami, on ne sait ce que la vie nous laisse le temps de finir.
  Venant de moi, cette dernière petite note pessimiste peut te surprendre quoique son explication est simple et banale : depuis quelques jours, une mauvaise fièvre des pays chauds me cloue au lit et je m’aperçois combien il est urgent de profiter pleinement de la vie.
  Rassure-toi, je ne suis pas encore mort. Ce sont simplement quelques langueurs d’estomac qui, de temps en temps, me gâchent les plaisirs de la table. Je t’en avais déjà parlé, elles ne me quittent plus. Hier, elles étaient sourdes et diffuses, aujourd’hui elles deviennent difficilement supportables. Les changements de climat et d’alimentation en sont la cause.
  Il m’est impensable de ne pouvoir profiter pleinement des trésors qui m’entourent et je ne supporte pas l’idée qu’un mauvais ulcère puisse avoir raison de ma fortune.

  Heureusement, d’heureuses nouvelles maintiennent le cap de ma bonne humeur. Par exemple, ce prospectus de notre consulat qui a confirmé mon rôle d’ambassadeur : le tourisme est une mission diplomatique de première importance !
  Dans l’hôtel où je me suis installé, cinquante personnes sont dévolues à mon service alors que j’ai l’impression de ne rien dépenser. J’aide à la survie de ce petit peuple et mon argent lui maintient la tête hors de l’eau, quoiqu’en disent chez nous les esprits chagrins.
  L’obésité de ma richesse est utile, mon pouvoir d’achat ne devrait pas être jalousé. Je comprends, à présent, la position des aristocrates de l’ancien régime : posséder un gâteau tout entier permet d’en redistribuer des miettes plus copieuses. Le commun des mortels n’entend rien à la machinerie du commerce, elle tourne grâce à ma fortune, devenir riche m’a ouvert les yeux.

  Je te développerai, à mon retour, la logique de ce raisonnement plus en détail. Aujourd’hui, il me faut écourter mon laïus. Le mal de ventre que j’ai évoqué tout à l’heure me rappelle à l’ordre.

Je t’embrasse chaleureusement et promets de te rassurer sur mon état de santé dès ma prochaine lettre.

                         Ton ami le plus cher,
                                          Gaspard »




  Je reste immobile, toujours emmitouflé sous mes couvertures. Plus je relis ces mots, plus les larmes montent en moi.
  Au fil des semaines la voix de mon ami se dilue dans mes autres souvenirs. Cela me fait peur, le temps s’écoule si vite. Déjà trois mois que le chevalier profite du soleil alors que je reste seul à me morfondre dans le froid et le marasme de la vieille Europe. L’hiver prochain, c’est décidé, je quitterai moi aussi le navire. Dès l’arrivée des premiers frimas, si ma fortune et la stabilité politique le permettent, j’achèterai une villa en Espagne ou au Portugal, il paraît que là-bas les prix de l’immobilier s’effondrent.
  Au pire, je rejoindrai un des troupeaux de camping-cars qui s’entassent sur les plages d’Afrique du nord, Il n’y a pas mieux que les loisirs pour oublier la crise. Voyager, faire le tour du monde, vivre comme un prince, voilà la solution ! Le taux de remplissage des stations de sports d’hiver, cette année, a frisé les quatre-vingt-quinze pour cent. Ce n’est pas moi qui l’invente, ils parlent de vacances tous les jours aux infos…
 
  Les heures passent, le sommeil entraîne mes réflexions vers des calculs improbables. J’échafaude un plan pour amasser assez d’argent et modifier radicalement le cours de ma vie.
  Dans toute cette usine à gaz de rêves au conditionnel, mes spéculations m’emportent sur les chemins tortueux de l’économie politique. Je me vois exposant mes idées à la tribune de l’assemblée nationale, acclamé par mes pairs, exposant l’idée que mon action caritative aux côtés de l’abbé est une générosité qui devrait suffire à me dédouaner de l’impôt. Je suis riche et célèbre, celles dont je suis amoureux deviendront bientôt mes amantes.

  Mais si un jour je suis aussi riche que Gaspard, quelle part de ma fortune devrais-je reverser à l’état ?
  L’avenir me tracasse. On dit que les Français affrètent des cargos délabrés et débarquent en masse sur nos côtes. Le parti national gagne du terrain. L’instabilité, les troubles révolutionnaires, les impôts, la dette de l’état, tout augmente démesurément, Chaque centimètre carré de ma peau devient lui aussi énorme, démesuré, j’étouffe et j’ai peur, je vis un cauchemar ! Le jour approche, mon corps a froid.
  J’entends un bruit de porte. Ce n’est surement pas Seb, ni Janine, il est trop tôt, le bar n’ouvre pas avant sept heures. Ce ne peut être que Maria.

  Été comme hiver, ses journées débutent avant l’aurore et le remue-ménage matutinal est sa grande spécialité :
— Attendez au moins le jour avant de vous affairer en cuisine, rien ne presse.
— Vous croyez que si j’allume le feu à neuf heures, le déjeuner de midi sera prêt à l’heure ? Quand je suis réveillée, je me lève. Depuis que je suis veuve, mon lit est froid et je ne le supporte plus.
  Je n’ai jamais osé lui dire que les bruits de l’office m’importunaient, surtout quand je veille une grande partie de la nuit. Son brassage de casseroles et ses va-et-vient dans toutes les pièces du rez-de-chaussée, je les connais par cœur.
  Écoutant s’ouvrir la porte du salon, je soupire... Il ne doit pas être six heures.
  Elle a dû bousculer la table à thé car je reconnais le bruit de ce petit meuble contre lequel moi aussi je me cogne régulièrement. Comme d’habitude, elle ne doit pas avoir pris sa chandelle. J’entends le grincement des volets et je me dis que pour une fois elle contrôle sa force car ils ne claquent pas contre le mur. Je la suis dans ses allées et venues à travers tout le rez-de-chaussée.
  Après quelques bruits de portes, la maison redevient silencieuse. La fatigue m’envahit, et je me réembarque pour des rêves de soleil et d’îles du bout du monde.




*



  Tout à coup, Maria crie, ce qui me réveille en sursaut.  
  Après un instant sans comprendre, l’écoutant toujours se plaindre, je décide d’aller voir ce qui la met dans cet état.

  Adossée à la porte du salon, elle se presse la tête entre les mains et m’apercevant redouble de sanglots :
— Dieu merci, vous êtes vivant !
— Vivant ? Pourquoi diantre voudrais-tu que je sois mort ?
Elle me regarde et peine à trouver ses mots :
— … Parce que… Je vous croyais… Ils ont tout emporté… Ils sont venus ici…

  Mon salon est vide, il ne reste rien, sauf la petite table à thé dont un pied a dû se briser quand on l’a renversée tout à l’heure. Le froid s’engouffre par la porte-fenêtre grande ouverte, je traverse la pièce et la referme.
  L’abbé est là, lui aussi, il vient de nous rejoindre, il dort ici.
  Maria se lamente, assise sur les premières marches de l’escalier.
— C’est un grand malheur, c’est un grand malheur ! Ils sont entrés et ont tout emporté… On aurait pu être égorgés, c’est horrible, c’est horrible !
  Mon ami, tout comme moi, aperçoit les dégâts et demande :
— Comment sont-ils entrés ?
— Je n’ai rien entendu, ils ont forcé la porte de ma cuisine !
  Nous tentons vainement de la rassurer :
— Vous dormez au deuxième étage, c’est normal.
  Me prenant à témoin, il cherche quelques mots d’explication :
— Nos chambres sont au premier et nous non plus…

  J’entre dans la cuisine. La serrure de la porte est arrachée. Le grand buffet est ouvert alors que les réserves de nourriture sont toujours là, intactes. Seule une tâche pourpre fraîchement imprégnée dans le bois du plateau de table indique qu’un des voleurs a bu au goulot d’une bouteille. Maria est au bord de la crise de nerfs.
—  Puisque nous sommes épargnés, c’est un moindre mal.
  Mais la cuisinière répète sans cesse que les visiteurs auraient pu nous égorger :
— Ce matin, si je ne m’étais pas rendormie, je devrais être par terre en train de me vider de mon sang. Pour dépouiller une maison de la sorte ils devaient connaître les lieux.
  Ce qu’elle vient de dire me rappelle instinctivement l’intrusion de Yasmine dans mon univers, mais personne n’ose prononcer son nom. Les larmes de Maria s’accompagnent maintenant de colère :
— Pour ces bandes de bohémiens et de voleurs, les plus simples de nos maisons sont des châteaux qui brillent comme un diamant !
  L’abbé n’ajoute rien. Il penche vers cet avis, ne se faisant pas trop d’illusions sur l’honnêteté de Yasmine et de ses relations.
— Les portes cochères sont toujours grandes ouvertes et les cours intérieurs s’offrent à tous les regards.
  Les voleurs ont vidé les meubles, éparpillant et abandonnant ce qu’ils ont jugé sans valeur. L'amas informe qui jonche le sol ferait facilement croire qu'une bombe vient d'éventrer et d'exploser le bâtiment. On marche sur les papiers et les livres, les parquets ne sont plus visibles. Il faudra beaucoup de patience et de courage pour remettre en ordre cet indescriptible fouillis.

  Cédant à la pression de l’abbé et de Maria, je me rends au commissariat afin de porter plainte et je suis surpris d’y retrouver Benoît. Son appartement a été, lui aussi, visité cette nuit, en même temps qu’une petite dizaine d’autres du quartier :
— Tu veux savoir pourquoi ils t’ont choisi ? Eh bien, repense à cette punk de la gare de triage, celle qui se fait passer pour une diseuse de bonne-aventure. Elle t’a endormi en jouant son rôle à merveille. Le mode opératoire est simple, elle embobine des clients pour visiter leurs apparts et ensuite envoie sa bande pour que tu paies l’addition. Tu n’es pas le premier à qui ce malheur arrive, je te rassure… Les gars du parti sont prêts pour la riposte. Et nous n’allons pas attendre que la finasserie  judiciaire se remue enfin le petit doigt pour mettre fin aux agissements de cette bande de chauffeurs.
— Les cambrioleurs se sont contentés de visiter ma cuisine et mon salon …ils nous ont épargnés. Et cette façon d’agir n’a rien à voir avec celle des égorgeurs de la bande d’Orgères ou des loulous modernes de la gare de triage !
— Vu le nombre d’objets que tu me dis être dérobés, les auteurs de ce pillage devaient être nombreux, aguerris et renseignés. D’après moi, ceux des terrains vagues de la Sncf sont les seuls du secteur capable d’emporter autant et en une seule fois.
  Le cousin de Gaspard observe mon trouble et poursuit :
—  …Je sais que tes intentions ne sont pas de cacher une criminelle. Tu es le Sieur Bruelli, cet homme qui permet à une mère de pleurer la dépouille de son enfant. Mais rappelle-toi, le jour où tu es venu au château m’apporter le courrier de Gaspard, je t’avais prévenu de ne pas t’apitoyer devant la misère trop apparente de ceux qui mendient comme au théâtre.

  Benoît me plante ici ses banderilles d’activiste, les événements parlent en sa faveur.
  En sortant du commissariat, il m’invite à faire le crochet jusque chez Seb, afin de raconter nos déboires au patron. Tout le quartier est au courant. Ce fait divers est une aubaine pour convaincre ceux qui voudront l’entendre et se laisser convaincre de prendre une carte du parti.
—  Dans les affaires telles que la tienne, les flics ne retrouvent jamais les voleurs. On peut toujours porter plainte mais si on veut des résultats, ce n’est pas sur la maréchaussée qu’il faut compter. Je vais t’expliquer.
Frédéric Prunier
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Enfin une bonne nouvelle (19) Empty Re: Enfin une bonne nouvelle (19)

Message  jeanloup Mar 2 Juin 2015 - 16:46

Tiens des nouvelles de Gaspard. J’étais en train de l’oublier mais c’est drôle, dans mon souvenir, je le voyais genre bon vivant, presque outrancier. Là, il me semble très proche de ce qu’est Patrizio alors qu’au tout début, je le voyais très différent, presque contraire.
Pour le reste, c’est interessant. Le cambriolage était attendu, quasiment annoncé, mais je trouve tout cela très bien raconté.

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