Exposition

[post scriptum]

C’est une journée, une œuvre d’art sans créateur mais aux milles regards.

Jeudi férié, à Paris, sous un ciel gris, froid et venté, je m’en vais trouver des couleurs léchées au Musée d’Orsay.
Mes esprits encore épris des charmes provinciaux, mon corps déambule dans les rues où clignent machinalement des yeux verts, rouges, orange. Au royaume des voitures, des scooters et des faux-semblants, je me faufile. Rue de l’Abbaye, Rue Bonaparte, rue de l’Université, Rue du Bac, rue de Lille.
Loin des touristes et des conventions, je croise des employés du musée, cachés, fumant leur clope, peinards.

Premier tableau vivant où la libre cendre tombe sur les uniformes étroits.

Arrivé sur le parvis, je prends place dans un serpentin bigarré qui croise lentement un rhinocéros, un cheval, un éléphant.  Vu du ciel, nos pas animent un serpent impatient. Les bronzes de Jacquemart, Frémiet ou Rouillard  semblent être des tentatives orgueilleuses, stériles, des caprices enfantins, morbides à côté de notre ovipare bavard.
La file d’attente devient une sculpture animalière vivante, un bronze criard.

Premier chef d’œuvre inconnu.

Devant moi, carré Hermès au vent, une belle femme  attend son compagnon.  Il la rejoindra près de la gueule du Musée, lui apportant un chaud café, la réchauffant,  ses mains posées.

Premier cliché.

Dans le contre-champ de ce couple amoureux, Doisneau n’apparait pas mais deux adolescentes blondes à l’accent belge bavardent. Petit haut rose fluo, tennis hauts, short tiré en haut, casquette relevée et verbe vulgaire lancé trop haut. Maillol n’a pas sculpté ces gamines mais il les entend raconter leur dernière teuf : « MDMA, whisky Coca, pénétration ».

Première télé-réalité.

La porte déglutit peu à peu ses clients médiocres qui viennent voir des œuvres d’art comme ils vont voir Mickey ou le PSG.

Je veux entrer dans l’antre de la baleine tel Jonas et libérer l’art de ses regards avides, vides.

En attendant, dans ce flot humain, je décide de me fumer une cigarette. Inspirant et expirant la fumée blanche, je tente de m’extraire de ce circuit balisé, cette masse dépareillée mais uniforme dans son désir de dire à la bonne société : « J’ai fait l’expo Bonnard !». Bon goût, mauvais goût ? Peu importe, on a les mêmes goûts.

Soudain, une main trapue, ferme et grossière me tape sur l’épaule. Réveil vulgaire. Un homme dégarni au regard militaire et aux spartiates velues m’invective. Ce sont des mots postillonnés en anglais et à l’accent allemand qui giflent ma retraite nicotinée. Ce super-héros me demande d’éteindre ma roulée. Je lui réponds lâchement : « I don’t understand, sorry. » Un pas, deux pas, puis il remet ça dans un français approximatif : « Je vous dis de … de ne pas fumer ! ».
Ce con va sans doute être le premier à s’extasier devant des œuvres de Van Gogh,  Gauguin … D’un coup bien lancé, mon mégot inachevé s’envole, le justicier sanitaire l’écrase par terre d’un air triomphant.
Je me retourne, le repousse et lui crie : « Vous ne comprenez rien, l’art est un dérèglement qui s’affranchit des normes sociales castratrices, par essence, il remet en cause les normes consensuelles du bon goût et du politiquement correct, fucking bastard ! ».  D’un coup bien arrivé, mon visage inachevé s’envole, le justicier artistique l’écrase par terre d’un air triomphant.

Les uniformes sans cendre joyeuse m’extraient du serpent, m’évacuent loin de la foule claire scrutant le sombre désordre réconfortant, structurant.

Œil bleu Klein, je repars.

Chef d’œuvre accompli.

Tel un artiste, je ne suis pas entré dans le musée aux œuvres abandonnées, délaissées.

[David]

Salut Post scriptum,

Ce que je trouve de poétique, c'est "l'acte manqué" d'abord, la visite au musée qui s'arrêtera à la fil d'attente, et ce préambule qui se révèlera le roman me semble prémédité dans "l’œuvre d'art sans créateur" évoqué au début. Dans le déroulement, même si je n'ai pas vraiment souri à la lecture, il y a comme un ressort comique, celui de "l'arroseur arrosé" : le coup de poing m'a semblé une réponse à la misanthropie de la narration, la contemplation s'accompagnent souvent de jugements, je veux dire avec des mots comme "faux-semblants/conventions/peinards/impatient/tentatives orgueilleuses, stériles, des caprices enfantins, morbides/bavard/criard/médiocres/avides, vides./lâchement/réconfortant, structurant", bref, j'ai eu l'impression que le coup de poing était là pour sanctionner "l'ensemble de l’œuvre" et non pas seulement l'échange dans la file d'attente.

Il y a aussi une poésie dans la succession des tableaux, les trois couples ; les amoureux, les jeunes filles, l'américain et le narrateur. C'est un peu simpliste mais ça évitera d'en faire des tonnes : j'y vois une métaphore de la solitude contrariée. Dans mon idée, le narrateur ne veut pas voir le monde et espère quand même profiter de la vie à travers l'expo qu'il va voir, qu'il compte utiliser comme une sorte de kaléidoscope déformant, ou reformant plutôt, mais bien sûr c'est la "vraie vie" qui gagne.

Il y a aussi une poésie dans les clopes, comme une autre métaphore du cru et du cuit, du barbare et du civilisé : le civilisé fume, consume, c'est le narrateur et les employés du musée ; le barbare lui mange son air cru, bêtement, comme l'américain, les ados, et les amoureux, bestialement peut-être même.

Quand même plus globalement, le texte a plus un air de petite histoire que de poème, ses structures à grands traits et son ton littéraire m'ont semblé en porte-à-faux l'un de l'autre, ce qui fait que ses lourdeurs le suivraient où qu'il se pose. Mince, c'est pas très clair, je veux dire que c'est écrit comme pour un roman mais mis en page comme un brouillon, un scénario, une ébauche.

[Frédéric Prunier]

sympa cette idée

j'aurais fouillé un peu plus les personnages de la file d'attente, en essayant par exemple de ne pas réduire, au départ, les visiteurs à tous des cons qui vont à Disneyland... et puis pour la fin, tu pourrais un peu faire gueuler ton héros avant de se laisser abattre sans combattre... il s'était mis un peu la pression à froid tout seul , non ???

en résumé, aller plus loin dans la réflexion sur l'art, ce qui mérite d'être au grenier et au musée, etc

jmerépète,
sympa ce texte

[post scriptum]

Merci pour vos riches commentaires !

Oui, ce texte est une ébauche, un écrit rapide, une tentative, presque un exercice forcé.
Trop paresseux (ou trop maladroit dans l'écriture en prose), je n'ai pas écrit un récit trop long, je n'ai pas étiré les portraits ni nuancé les couleurs.
Je n'ai pas réussi à abandonner l'usage de nombreuses tropes et mes paragraphes s'apparentent plus à des strophes. J'ai donc préféré posté ce texte dans la section "Poésie".

Je suis d'accord avec vous, je perçois aussi les facilités déguisées parfois par un registre comique ou une énonciation péremptoire ...

J'essaierai d'améliorer ce texte.

Merci pour votre aide !!

Amitiés.

[post scriptum]

Oups : "poster"

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