Amertume

[JI]

D'un verre d'amertume, il baigne son chagrin.
L'aube est un souvenir, l'avenir sans issue.
Ils étaient deux, puis un : elle est partie, déçue,
Égarée dans la brume aux heures du matin.

Les bulles d'un bon vin troublent sa vue, en vain :
Les gorgées écument les bribes du bon temps.
Le goût du déjà vu l'écœure tellement
Mais ce n'est pas si grave, il oubliera demain.

La veille et ses excès n'assèchent pas longtemps,
D'âcres pensées donnent encore envie de boire
Ici et tout de suite, hier, les jours suivants.

Les matins traversent toujours la même brume,
Les souvenirs de l'aube et les heures du soir,
A l'ombre des cendres des jours nouveaux qui fument.

[David]

Bonjour JI,

Le poème a une écriture traditionnelle que j'ai trouvé dans de nombreux autres, différemment à chaque fois, mais cela m'inspirait la même réflexion sur la façon d'appréhender une intention d'écriture. Comme c'est visuel, autant le montrer avant d'aller plus loin :

A l'ombre des cendres des jours nouveaux qui fument,
Les souvenirs de l'aube et les heures du soir,
Les matins traversent toujours la même brume.

Ici et tout de suite, hier, les jours suivants,
D'âcres pensées donnent encore envie de boire,
La veille et ses excès n'assèchent pas longtemps.

Mais ce n'est pas si grave, il oubliera demain,
Le goût du déjà vu l'écœure tellement.
Les gorgées écument les bribes du bon temps :
Les bulles d'un bon vin troublent sa vue, en vain.

Égarée dans la brume aux heures du matin,
Ils étaient deux, puis un : elle est partie, déçue.
L'aube est un souvenir, l'avenir sans issue.
D'un verre d'amertume, il baigne son chagrin.

(j'ai inversé la ponctuation aussi)

Le vers-clé, il me semble, c'est "Ils étaient deux, puis un : elle est partie, déçue,". Je crois que c'est à la fois ce qui a pu lancer l'écriture et ce qui devrait mieux se lire le plus tard possible dans le poème. En inversant l'ordre des vers, j'ai l'impression que se dégage d'abord l'émotion avant l'explicite.

En lisant le poème d'origine, je ne découvre plus rien après les premiers vers, en l'inversant, je poursuis ma lecture jusqu'à rencontrer le "mobile" comme on dit des meurtres, oups, j'ai pas tant de ressources pour illustrer ce que je veux dire, désolé.

ça reste formelle comme point de vue et ça repose aussi sur des préjugés bien entendu, je me dis aussi qu'hors d'un poème, il peut être plus sincère de déclarer aussitôt ce qu'on veut dire, si on a à le communiquer, mais par l'écriture, la sincérité n'a plus vraiment d'interlocuteur, la "mise en scène" est un passage obligé, notamment, ça peut retenir des impressions d'impudeur en lecture, l'impression de tomber sur un extrait d'un journal intime si ça débute par quelque chose comme "elle est partie... ".

Pour finir, ce n'est pas une réécriture que je voulais mettre en avant, c'est illustrer la façon de dérouler le parchemin des pensées qu'on met par écrit dans un poème, ainsi que cette impression récurrente et personnelle de lire des poème écrits "à l'envers".

[Annie]

J'ai mauvaise grâce à critiquer ce poème émouvant, si je le fais c'est qu'il me semble qu'il pourrait être plus "efficace" avec un peu de soin.

Donc, d'abord la métrique. Ce sont des alexandrins ? Si non, ils y ressemblent trop, on se fait embarquer. Si oui, ils clochent :
"Les gorgées écument les bribes du bon temps." écumEUX
"A l'ombre des cendres des jours nouveaux qui fument." cendrEUX
Dur dur

Ensuite, je ressens une maladresse dans l'expression des idées, jusqu'à dire le contraire
"Ils étaient deux, puis un" en le lisant, j'ai pensé que l'amour fusionnel les avait fondu en seul être
"La veille et ses excès n'assèchent pas longtemps" au contraire ça l'assèche radicalement puisqu'il est contraint à reboire

Tout ceci à prendre comme un encouragement. Je trouve les remarques de David très pertinentes, plus utiles peut-être que les miennes...
*******
"J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant."
Robert Desnos Corps et biens

[JI]

Merci pour vos réponses.

Pas de tracas, Annie, ton commentaire m'est très utile.
Je ne suis (évidemment) pas un maître en la matière de sonnet. Il s'agit en effet d'alexandrins, comme tu l'as remarqué, il reste encore quelques pieds boiteux.

Un grand merci à toi David, car ton commentaire m'a fait beaucoup réfléchir, pour cet écrit et tous les autres. Je suis tout à fait d'accord avec toi.

A bientôt !

[Contenu sponsorisé]